The Project Gutenberg EBook of Contes et poesies de Prosper Jourdan:
1854-1866, by Prosper Jourdan

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Title: Contes et poesies de Prosper Jourdan: 1854-1866

Author: Prosper Jourdan

Release Date: May 27, 2004 [EBook #12459]

Language: French

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CONTES ET POESIES

DE

PROSPER JOURDAN

--1854-1866--


ROSINE ET ROSETTE

LEONE

POESIES DIVERSES

QUELQUES PAGES D'UN LIVRE

NOTES AU CRAYON


PARIS

SEPTEMBRE 1866




A

PROSPER JOURDAN


Mon fils bien-aime, mon Prosper, mon ami, mon cher et doux poete, tu
etais pres de moi, il n'y a pas trois mois encore, pres de nous qui
t'aimions et t'aimons toujours si tendrement; tu vivais de notre vie, tu
nous prodiguais toutes les delicatesses de ton amour, tout le charme
de ton esprit; tu nous parlais de ton avenir, de tes projets ...
et maintenant nous voici seuls et tristes! Tu nous as quittes pour
toujours, et ton pauvre pere afflige, ton vieil ami t'ecrit comme si tu
pouvais encore l'entendre, comme si tes yeux pouvaient dechiffrer encore
cette ecriture que tu aimais tant, cher enfant adore!

Tu nous as quittes! Que de peine j'ai a me le persuader et que de larmes
quand cette verite m'apparait dans toute sa tristesse! Une fievre,
quelques jours de maladie, ont suffi pour eteindre la belle
intelligence, pour arreter les battements de ce coeur loyal d'ou
n'approcherent jamais ni un sentiment bas ni une passion grossiere! Tu
nous as quittes en pleine jeunesse, dans la fleur de les vingt-six ans,
mon Prosper cheri! Pourquoi si tot? Pourquoi notre amour n'a-t-il pu te
rattacher a la vie? Ne savais-tu donc pas que ton depart nous laisserait
une incurable blessure?

Quand tu vivais pres de nous, ami de mon ame, je n'avais pas de secrets
pour toi, tu lisais dans ma vie comme dans un livre ouvert. Je ne veux
pas perdre ces douces et cheres habitudes de notre intimite; je continue
a te parler et a l'ecrire, a te livrer mon coeur tout plein de toi.

Et pourquoi ne le ferais-je pas?

Tu vis, mon fils aime; je suis trop imparfait pour savoir, quelle est la
forme que tu as revetue, quel est le milieu ou tu te developpes, mais
je crois a ta vie loin de nous aussi fermement que je croyais a ta vie
quand j'avais le bonheur de te presser dans mes bras et d'entendre la
voix si douce a mes oreilles et a mon coeur.

Je crois a ta vie actuelle comme je croyais, comme je crois encore a ton
amour. Je t'ai vu expirer dans nos bras, j'ai contemple ton beau visage
glace par la mort, j'ai entendu la terre tomber, par lourdes pelletees,
sur le cercueil qui renfermait ta depouille mortelle; mes yeux se
remplissent de larmes, mon coeur se dechire a ces cruels souvenirs,
et cependant je ne crois pas a la mort! Je te sens vivant d'une vie
superieure a la mienne, mon Prosper, et quand sonnera ma derniere heure,
je me consolerai de quitter ceux que nous avons aimes ensemble, en
pensant que je vais te retrouver et te rejoindre.

Je sais que cette consolation ne me viendra pas sans efforts, je sais
qu'il faudra la conquerir en travaillant courageusement a ma propre
amelioration comme a celle des autres; je ferai du moins tout ce
qu'il sera en mon pouvoir de faire pour meriter la recompense que
j'ambitionne: te retrouver.

Ton souvenir est le phare qui nous guide et le point d'appui qui nous
soutient. A travers les tenebres qui nous enveloppent, nous apercevons
un point lumineux vers lequel nous marchons resolument; ce point est
celui ou tu vis, mon fils, aupres de tous ceux que j'ai aimes ici-bas et
qui sont partis avant moi pour leur vie nouvelle: mon pere, ma mere, ma
soeur, Moise Retouret, Delaury, Prosper Enfantin, Moroche, Jal, Charles
Ferrand, Gustave Suchet, et tant d'autres, helas!

Te rappelles-tu encore, ami, nos conversations inepuisables sur ces
graves sujets, assis tous deux dans ta chambre de Mont-Riant: Dieu, la
mort, la vie eternelle, la liberte humaine, etc.? Maintenant ton ame,
degagee des liens materiels si lourds et si compacts sur ce petit globe,
entrevoit ces grands problemes d'un point de vue plus haut. Tu sais ou
tu le prepares a savoir ce que j'ignore; tu apercois des clartes que je
ne soupconne meme pas. Mais ma foi reste ardente et entiere, telle que
tu l'as connue! mon bien-aime Prosper. Ce n'est pas sous la terre ou
j'ai depose tes restes que je te cherche, doux tresor de mon coeur, fils
qui as ete mon orgueil, ami qui as ete ma force et ma joie! non, mon ame
te cherche sur les hauts sommets, dans ces champs de l'infini peuples de
demeures eclatantes.

Plus que jamais je crois a l'immortalite, a la persistance de
l'individualite humaine a travers le temps et l'espace; je crois au
libre arbitre, aux developpements successifs de la vie, aux paradis et
aux enfers que nous nous creons, suivant le bon ou le mauvais usage que
nous faisons de notre liberte.

Je crois surtout a la toute-puissance de l'amour, du devouement, de la
bonte, de l'indulgence, de toutes ces grandes vertus dont tu possedais
et dont j'admirais le germe en toi, mon Prosper!

Je crois aujourd'hui tout ce que nous croyions ensemble avec les
lumieres de notre conscience et sans le secours d'aucun pretre
catholique ou protestant. Nous etions et nous sommes toujours de ceux
qui n'appartiennent a aucune des eglises existantes, et qui cependant se
sentent religieusement unis a Dieu et a tout ce qui est vrai, juste, bon
et beau.

Tu le vois, cher bien-aime, je t'ecris comme je t'ecrivais quand nous
etions momentanement separes pendant ton existence sur cette planete; je
t'ouvre mon coeur, je te rassure sur notre compte comme si tu en avais
besoin, en te disant que si ton depart a brise nos ames dans la douleur,
il ne les a du moins pas dessechees et que notre foi reste entiere comme
elle l'etait quand tu etais pres de nous.

Et maintenant, mon Prosper cheri, approuveras-tu ce que nous avons fait?
Tu as mis autant de soin, mon doux poete, a cacher ton nom et tes vers
que d'autres en incitent a se produire avec fracas. Mais a present,
quand tu vis loin de ce globe, nous pardonneras-tu de reunir en un
volume ces chants de ta jeunesse? Non que nous ayons la pensee de les
livrer au public et aux indifferents! Mais, est-ce faiblesse, piete ou
amour-propre paternel, nous voulons offrir a chacun de nos amis, en
souvenir de toi, ce volume discret qui ne franchira pas les bornes de
l'intimite et de l'affection. La plupart de ceux qui t'ont connu,--et
tous ceux qui t'ont connu t'ont aime,--ne soupconnent meme pas l'oeuvre
que tu as laissee, si incomplete qu'elle soit. Je laisse de cote, bien
entendu, et je garde pour nous seuls les lettres, les esquisses, les
plans, les articles que tu as publies sous divers pseudonymes. J'ai fait
parmi tes poemes, avec le concours de ta mere et de ton frere, un choix
presque rigoureux. Je n'ai voulu mettre sous les yeux de nos amis que ce
que ton gout, si exquis en toutes choses, aurait lui-meme avoue.

En tete de ce volume je placerai cette lettre, ou nous n'avons pu que
bien imparfaitement exprimer notre profond et tendre amour.

A toi, notre fils, notre frere, notre compagnon, notre ami, a toi
toujours et a notre reunion future.

H.C. et L.J.

Paris, 3 aout 1866.




CONTES ET POESIES




A MADAME GEORGE SAND


_Vous savez, Madame, vous qui voulez bien m'appeler votre petit-fils,
avec quel affectueux respect j'ose invoquer ici l'amitie que vous me
parlez depuis mon enfance pour mettre sous votre protection ce petit
livre.

Je vous le dedie parce que votre genie m'est sympathique et parce que
votre bonte m'enhardit et m'attire, en un mot parce que je vous aime.
Comme c'est la premiere fois de ma vie que j'ecris une dedicace, on
m'excusera d'y avoir mis plus de coeur que d'esprit.

Voila donc pourquoi je vous dedie mes essais, et non par orgueil; j'en
pourrais cependant sentir un bien naturel de mettre ces vers a l'abri
d'un tel nom et sous la sauvegarde d'une amitie qui m'est si chere.

C'est pourtant un peu par egoisme, c'est-a-dire pour me faire bien
venir de mes lecteurs et de mes lectrices, que je prends la precaution
superflue de me justifier aupres de vous. En sachant que vous m'aimez,
eux qui vous aiment tant, ils m'aimeront peut-etre un peu aussi, et,
vous le savez la sympathie est relative: lorsqu'elle s'adresse a vous,
c'est de l'admiration; en s'adressant a moi, ce sera de l'indulgence.
J'en ai si grand besoin!_

PROSPER JOURDAN.




ROSINE ET ROSETTE


  I

  Ce chant etait fort long. Il n'a plus qu'une page;
  C'est fait. N'y pensons plus. Mais c'est vraiment dommage.
  Maintenant n'allez pas, lecteur, le regretter;
  Il parait qu'il etait ennuyeux a crier.
  On a donc tres-bien fait de l'oter; c'est plus sage.
  Mais a ce compte-la, ce n'est pas le premier
  Qu'il fallait supprimer, c'etaient les douze ensemble,
  Car ils se valent tous a peu pres. Il me semble
  Qu'on pourrait comparer ce chapitre defunt,
  Sans trop lui faire tort, a la mort de quelqu'un;
  Ceux qui restent, ma foi! sont bien les plus a plaindre;
  C'est d'eux evidemment qu'il faut avoir pitie.

  Ces pauvres survivants! c'est pour eux qu'il faut craindre.
  Leur tendrez-vous la main? Leur avenir entier
  Depend de vous, Madame, et de votre amitie.
  Soyez-leur indulgente et dites-vous sans cesse,
  Quand vous lirez ces vers, enfants de ma paresse,
  Que l'auteur est bien jeune et que, le ciel l'aidant,
  Il pourra faire mieux quand il sera plus grand.
  Tachez d'aller au bout. Ma frayeur est extreme,
  Songez donc! la jeunesse a besoin d'un appui.
  Soyez le mien, et si deux vers vous ont souri,
  Ne les oubliez pas; j'ai besoin que l'on m'aime.
  Je pars, sans bien savoir meme ou je vais aller.
  Ainsi qu'un oisillon trop prompt a s'envoler
  Qui tombe et sur le sol a chaque pas chancelle,
  Mon poeme embrouille, jusqu'a son dernier chant
  S'en va tout de travers, et ma muse infidele
  En se moquant de moi trebuche a chaque instant.
  O vous qui me lirez! soyez meilleure qu'elle.

  Cet exorde entendu, je commence. D'abord
  Rosine etait comtesse et se respectait fort;
  De plus, coquette et veuve a dix-neuf ans. Ensuite,
  Dire qu'elle etait bien, c'est ce que vous pensez;
  Dire qu'elle etait mieux ne serait pas assez.
  Un pied ... comme la main! et la main si petite
  Qu'a peine y voyait-on la place d'un baiser;
  Des yeux bleus et fonces, des cils longs a friser,
  Et des cheveux!... sachez,--pour les dire plus vite,--
  Qu'ils n'etaient bruns ni blonds, avec un reflet tel
  Qu'a sa vierge Albeenne en donna Raphael.

  On dit: de Maison d'Albe et j'ecris: Albeenne.
  Ce mot-la nous manquait; je merite un fauteuil.--
  Sachez donc qu'un printemps, dans sa villa d'Auteuil,
  Notre Contessina s'en fut porter un deuil
  D'une tante eloignee et de noblesse ancienne,
  Dont vous m'epargnerez de faire l'oraison.
  A Paris, dans le monde ou Rosine etait reine,
  De temps a autre un deuil est une bonne aubaine;
  Le gris est si divers! et le noir si bon ton!
  La paleur, aux yeux bleus donne un si doux rayon!
  Puis, moitie pour poser la femme qui s'ennuie,
  Moitie pour le printemps dont il faut profiter,
  Parmi ses frais lilas Rose alla transporter
  Ses amoureux, son luxe et sa melancolie.


  II

  C'est l'heure ou le soleil empourpre l'horizon
  De ses derniers reflets. D'un plus tiede rayon,
  Tendre comme une etreinte et doux comme un sourire,
  A la terre qu'il quitte il semble vouloir dire
  Adieu. Telle en sa chambre, une femme, le soir,
  Avant de se coucher prolonge sa toilette
  Et reste a se peigner, nonchalante et coquette,
  Et, le sourire aux dents, s'attarde a son miroir:
  Telle, au declin du jour, la nature amoureuse
  Se pare et se fait belle aux rayons du couchant
  Et devient tout a coup plus tendre et plus reveuse,
  Comme fait sa maitresse au depart d'un amant.

  Rien ne dort a cette heure; et pourtant c'est a peine
  Si l'on entend la brise au murmure pensif,
  Si l'on distingue au loin le bruit d'une fontaine
  Qui coule en murmurant sur le marbre massif
  Ou le chant des oiseaux regagnant leur couvee.
  Quel calme! different de celui de la nuit;
  Quel silence joyeux entremele de bruit!
  Il semble, a voir ainsi la campagne noyee
  Dans ce dernier baiser d'un soleil palissant,
  Que les cieux sont plus doux, que l'ombre est plus amie,
  La brise plus riante et plus chere la vie
  Et que l'amour, lui-meme, en est plus caressant.

  On croirait par moments, quand fremit le feuillage,
  Voir des ombres passer en se donnant le bras;
  Evoquer leur fantome et deviner l'image
  D'un monde d'amoureux qu'on ne soupconnait pas.

  Dante! N'etait-ce pas ton couple au doux murmure
  Qui passait tout a l'heure a travers ce massif?
  N'etait-ce pas son vol dont la trainante allure
  Le faisait frissonner avec un bruit plaintif?
  Lovelace sans ame et toi, pale Clarisse,
  Est-ce vous qui fuyez en frolant les buissons?

  Il me semblait entendre, a travers leurs chansons
  Monter, comme un echo de ton long sacrifice,
  Et mourir sur ta levre un soupir de regret,
  Pauvre fille! Mon coeur te suivait dans ta peine
  Et tandis que ton ombre indecise et sereine
  M'apparut, j'ai senti que mon ame pleurait.
  Est-ce toi, dis, Manon, immortelle charmeuse?
  Est-ce ta voix joyeuse et ton rire moqueur?
  Ou vas-tu si legere et si peu soucieuse
  De ton indigne amant qui causa ton malheur?
  O Werther! est-ce toi, pauvre amie dechiree?
  Viens-tu trouver ce soir ta Charlotte adoree
  Au premier rendez-vous que son coeur te donnait
  Pour ce monde ou tous vont et que nul ne connait?
  Est-ce toi qui gemis, o frele Desdemone,
  Dont la plainte se mele au chant des rameaux verts?
  Helas! ton coeur criait sous le vent des hivers
  Comme fait, sous l'orage, un saule qui frissonne.
  Telle une algue battue au caprice des mers!
  C'est toi, gai Romeo? Cette forme inquiete
  Qui se penche a ton bras, est-ce ta Juliette?
  Est-ce toi, Marion? Dona Sol, est-ce toi?
  Rosine! Camargo! Belcolore au coeur froid!
  Repondez, est-ce vous? ou votre chere image
  N'est-elle que l'effet d'un bizarre mirage?
  Est-ce votre fantome apporte par le vent,
  Ainsi qu'aux nuits d'automne un tas de feuille morte,
  Que la bise disperse et que l'orage emporte,
  Suit l'aquilon qui passe et s'arrete en un champ?

  O qui que vous soyez! visions passageres
  Ou fantomes errant dans le jour qui palit,
  Qu'il est doux de rever a vos charmants mysteres
  Et de sentir en vous notre ame qui fremit!
  Mais c'est bien vous; j'entends votre voix qui soupire,
  Et vos soupirs sont doux comme un souffle de mai.
  Vous passez en silence et je vous vois sourire
  Et mon ame ressent jusqu'a votre martyre
  Et voltige avec vous dans cet air embaume.

  Ainsi notre ame reve a l'instant solitaire
  Ou le soleil souleve, a son heure derniere,
  Un coin du voile bleu que vient jeter la nuit,
  Comme un ange reveur qui laisse, sur la terre,
  Son manteau scintillant trainer derriere lui.

  Raphael! ton pinceau l'avait-il devinee
        Cette forme au contour si pur?
  Ton esprit l'avait-il entrevue ou revee
  Cette tete, qui n'est ni brune ni cendree,
        Aux yeux plus profonds que l'azur?

  Lorsque ta Marguerite au seuil de son eglise,
        O Faust, apparut a tes yeux,
  Vis-tu rien de plus beau que cette femme assise?
  Un rayon de soleil dore encor ses cheveux
        Que froisse et caresse la brise.

  Arbres deja palis par l'automne au front roux!
        Vastes cieux! pensives etoiles!
  Qui passez eternels, les yeux fixes sur nous,
  Astres muets! Temoins pour qui tout est sans voiles,
        Avez-vous rien vu de si doux?

  Qui donc est cette femme? En la voyant assise,
  Immobile, troublee, inquiete, les yeux
  Vers le sol, on dirait la statue indecise
  D'une vierge hesitante ou d'un ange amoureux
  Qui lutte encore avant de renoncer aux cieux.
  Ce n'est pas la douleur que sa pose rappelle;
  Elle n'a pas l'air triste, elle a l'air inquiet.
  Elle ecoute son coeur, et son coeur est muet.
  C'est donc une ombre encor? Non, mais qui donc est-elle?
  Cette femme est Rosine et, sous ce rayon d'or,
  Dans sa melancolie, elle est plus belle encor.

  Elle est charmante ainsi. Ce cadre de verdure
  Rehausse encor sa grace et lui sert de parure.
  Mais elle n'est pas seule. Assis a quelques pas,
  Un jeune homme au front triste et beau la considere
  De son regard profond. Il a l'air un peu las;
  On devine aisement qu'une pensee amere
  A du plisser sa levre indolente: et ses yeux
  S'attachent sans relache a celle qu'il supplie,
  Comme pour demander ou la mort ou la vie
  A ce regard de femme errant et soucieux.
  On sent que ce regard le fascine et l'attire.
  Rosine, cependant, continue a rever;
  Il semble qu'elle ait peur de ce qu'elle va dire.
  --Mais lui, d'une voix grave, avec un doux sourire:
  Quel silence! Rosine, et qu'en dois-je augurer?
  Ces mots que votre bouche hesite a murmurer,--
  Soyez franche,--sont ceux que je tremble d'entendre.
  Si je l'ai devine, pourquoi vous en defendre?
  Pourquoi rester muette et me laisser au coeur
  Un doute, plus cruel encor que sa douleur?
  Et surtout....

  ROSINE.

                 Je sais bien ce que vous m'allez dire,
  Stello; mais songez donc: vous me forcez ici
  D'accepter un amant ou de perdre un ami.

  STELLO.

  Rosine, ecoutez-moi. Pour un homme, le pire
  Qui lui puisse arriver quand il est amoureux,
  C'est de se voir bercer de ce mot vague et creux
  Qui, s'il n'est un mensonge, est encor un blaspheme.
  Que me fait l'amitie de la femme que j'aime?
  J'aime! C'est dire assez qu'il me faut votre corps,
  Vos larmes, vos baisers, votre ame tout entiere!
  Et vous allez m'offrir une telle misere?
  Appelez vos laquais pour me jeter dehors.
  Soyez plus charitable en etant plus altiere.
  Avouez-moi plutot que je vous fais horreur
  Et que vous m'execrez, que mon amour vous blesse,
  Mais ne me plongez pas ce poignard dans le coeur
  D'avoir encor pitie de moi dans mon malheur.

  ROSINE.

  Vous me comprenez mal et j'en ai de tristesse,
  Failli pleurer, Stello.

  STELLO.

                           Maudite ma tendresse
  Qui fait naitre une larme en un regard si doux!
  O ma reine! Oh! pardon!

  ROSINE, souriant.

                          Vous passez a l'extreme;
  Ne soyez point trop tendre apres ce grand courroux.
  Vous aime-je en ami? Je l'ignore moi-meme.
  N'ayant jamais aime, sais-je si je vous aime?

  STELLO.

  Non, vous ne m'aimez pas.

  ROSINE.

                             Je le crois comme vous,
  C'est vrai. Car je sens bien qu'un jour, s'il se reveille,
  Mon coeur, qu'on dit absent, qui, peut-etre, sommeille
  En attendant son heure, inondera mes sens
  Comme un torrent sans frein qui renverse ou qui brise,
  Ou qu'il m'envahira dans une ardente crise
  Comme un feu souterrain comprime trop longtemps.
  Certes, l'emotion que votre aveu me cause
  Est bien loin de cela, pour etre de l'amour,
  Mais, ce que vous etiez pour moi jusqu'a ce jour,
  Je ne m'en rends pas compte et n'en sais autre chose
  Que le vague plaisir que j'avais de vous voir.
  Votre voix m'etait douce et j'aimais a l'entendre;
  Je vous aimais enfin, a quoi bon m'en defendre?
  J'etais heureuse en vous attendant chaque soir.
  M'etiez-vous un ami? Vous m'etiez plus, peut-etre,
  Et jusqu'ici, Stello, si j'ai, sans le vouloir,
  En vous aimant ainsi fait grandir votre espoir,
  Vous en avez le droit, vous pouvez meconnaitre
  Un tel nom. Mais, du moins, laissez-moi regretter
  De ne point avoir su vous le faire accepter.

  Ainsi dans le grand parc desert, sous la ramure,
  Leurs voix s'entremelaient comme un faible murmure;
  Tous deux parlaient encore,--il faisait deja nuit,--
  Oubliant le destin devant cette nature,
  Temoin de leur tristesse. Et quand Stello partit,
  Son front cherchait en vain la fraicheur passagere;
  Il marchait au hasard et d'un pas inegal.
  Une larme brulante errait sous sa paupiere;
  Il emportait au coeur une blessure amere.

  La comtesse en pleura, dit-on, jusqu'a son bal.


  III

  Si vous avez connu la mine la plus fiere,
  Le bras le plus vaillant et le plus noble coeur,
  Le coeur le plus aimant qui fut jamais sur terre,
  Vous connaissez Stello. Libertin et reveur,
  Tenace comme un roc et doux comme une fille,
  Il avait les defauts d'un bon fils de famille
  Et ce rare bonheur de compter a la fois
  Les solides vertus des heros d'autrefois.
  Il avait de bonne heure appris l'experience,
  Son pere, Dieu merci! l'ayant, des son enfance,
  Laisse maitre de lui comme on l'est a vingt ans;
  Ce qui fit qu'il connut la vie avant le temps.

  Avec ses vingt-deux ans, il pensait comme a trente
  Et s'ennuyait de tout sans que rien le tourmente,
  Jusqu'a ce que son coeur se fit prendre un beau jour
  A ce jeu si cruel et si vieux de l'amour.
  Au reste, sa fortune egalait sa noblesse.
  Rien ne vint donc, durant le cours de sa jeunesse,
  Entraver sa nature ou gener son instinct;
  Il grandit librement, au gre de son destin.
  Ce qu'il etait reste Dieu l'avait voulu faire.
  Tel il etait sorti du ventre de sa mere,
  Tel nous le retrouvons au jour de ce recit.
  --Et ce qu'il en advint depuis lors, le voici:

  Avec de pareils dons que lui fit la nature,
  Je vous laisse a penser,--sans compter sa figure,--
  Si Stello dans le monde eut bientot des amis.
  Heureusement pour lui, la chose la plus sure,
  Il savait qu'ici-bas, c'est le pouvoir acquis
  Sur soi-meme, et depuis qu'il marchait dans la vie,
  Il avait assez vu comme le monde oublie
  Pour s'en faire une regle, et faisait peu de cas
  De tout ce qui n'etait ni son coeur, ni son bras.

  Pourtant, depuis trois mois qu'il connaissait Rosine,
  Ceux qui voyaient Stello le trouvaient bien change.
  Il avait doucement senti dans sa poitrine
  Grandir un sentiment qui l'avait domine.
  Ce n'etait plus alors cet enfant debauche
  Que les fous de son bord se vantaient de connaitre;
  Ce n'etait pas non plus,--tant l'amour nous penetre!
  Le Stello d'autrefois incredule et lasse.
  Tout le monde savait qu'il aimait la comtesse.
  Aussi bien savait-on, a cette enchanteresse
  Sous sa gorge de marbre un coeur non moins marbre.
  Ses amis, les meilleurs, l'en avaient detourne;
  Mais, soit que ce grand coeur eut trouve sa faiblesse,
  Soit qu'il y vit du sort un ordre imperieux,
  Il garda sa chimere et ne l'aima que mieux.

  C'est une chose etrange et bien inexplicable
  Que ce bizarre aimant qui, d'un etre vivant,
  Fait l'ombre d'une femme et, comme dans la fable,
  Attelle au meme joug un couple different.

  Quel mystere inoui, quel sort inexorable
  Jette au hasard deux coeurs dans un meme courant?
  Quel est l'esprit boiteux qui fait ces injustices?
  Est-ce un mauvais genie, ami des malefices,
  S'acharnant a ce jeu de mortelles douleurs?
  Si le dieu, qui, du moins, preside a ces caprices,
  Daignait, dans ses cruels et laches sacrifices,
  Ne se faire immoler que de vulgaires coeurs!
  Encor si sa fatale et maudite puissance,
  Sans chercher ici-bas les fronts qu'elle a marques,
  Se contentait de prendre avec indifference,
  Aussi bien ceux qui n'ont noblesse de naissance
  Ni noblesse de coeur, pour ses festins blases!
  Mais non.... Il semble meme, o misere inouie!
  Que les predestines a cette mort sans fin
  Portent une aureole et que, dans cette vie,
  Un ange les reprend quand la mort les oublie.
  --Envoye de malheur!--c'est l'eternel destin,
  Helas!--Le feu du ciel, ne des fureurs sublimes,
  N'a menace jamais que les plus hautes cimes;
  Plus l'arbre est eleve, plus il craint l'aquilon.
  La douleur est sur terre et choisit ses victimes
  Parmi ceux dont le sceau du genie est au front.

  Ils avaient donc raison, tous, avec leur morale.
  Et notre fier Stello, malgre son beau front pale,
  Sa belle ame et son nom, partait, le coeur brise.
  On pretend qu'il avait jure d'etre venge.
  Quoi qu'il en soit, deux jours apres cette soiree
  Qui decida son sort,--la derniere pour lui,--
  De laquelle il sortit l'ame desesperee,
  Seul desormais, errant au hasard dans la nuit,
  Stello quittait Paris.


  IV

                  Qui sait ce que peut faire
  De ravage sans borne et de taches sans nom,
  Dans un coeur vierge encor, plein d'un amour profond,
  Le souvenir mortel d'une horrible misere?
  Qui sait dans quelle nuit, dans quel abime obscur
  Va se perdre a jamais une ame desolee?
  Qui sait quel lupanar,--qui sait quel antre impur
  Attend le desespoir au sortir d'une allee
  Pour lui souffler au corps une vengeance usee?
  Qui connaitra jamais de quel rude sillon
  Se creuse un coeur atteint d'une telle torture
  Et quel venin terrible en greffe la morsure
  Sur le coeur le plus noble ou le plus noble front?
  Qui connaitra jamais,--quand l'amour le renie,--
  Ou va le malheureux, en se frappant le coeur,
  Prostituer l'amour dont il faisait sa vie
  Et, blasphemant son Dieu, son ame et son genie,
  Rire lugubrement de sa propre douleur?
  L'amour, le grand amour est ce baume supreme
  Qu'a ses derniers soupirs on verse au moribond:
  Il va mordre en plein coeur cette chair deja bleme,
  L'homme peut naitre encor de sa souffrance meme,
  Mais s'il succombe, alors le baume le corrompt.


  V

  La lune etait limpide; Alger, la blanche ville,
  Depuis longtemps deja dormait profondement;
  Et depuis la _Casbah_ jusqu'a la mer tranquille
  On n'eut pas entendu le mulet d'un Kabile,
  Ni vu glisser aux murs le manteau d'un amant.
  La nuit splendide et calme etalait ses etoiles
  Sur sa coupe d'azur: ou eut dit qu'au ciel bleu,
  Par ces milliers de trous dans les plis de ces voiles,
  La terre eut entrevu les domaines de Dieu.
  La rue etait sans bruit. La plage solitaire,
  Sous l'ecume d'argent que fait la vague arriere,
  Bercait dans les echos son chant triste et reveur.
  Pas un oiseau de nuit sur le rivage en pleur!
  Nulle voix n'animait la muette mosquee.
  Pas meme un frolement de Mauresque masquee
  Gagnant quelque ruelle etroite et desertee:
  Le port semblait une ombre et la ville un tombeau.

  Cependant, a travers le murmure de l'eau
  Se melait par moments, pour l'oreille attentive,
  Un plus etrange accent que la brise plaintive
  Qui, sur ces bords, le soir, incline l'oranger;
  Plus sourd que le fracas des lames sur la greve
  Et pareil a ces cris que l'on n'entend qu'en reve
  Dans les folles terreurs d'un sommeil mensonger.

  On eut dit comme un choeur de voix incoherentes,
  Comme un lointain concert de plaintes discordantes
  Ou des eclats de rire etouffaient des sanglots;
  Dont le vent emportait les notes turbulentes
  Et qu'un echo mourant apportait par lambeaux.
  Parfois tout se taisait. D'une voix plus egale,
  Qu'on entendait a peine, une femme chantait
  Quelque libre refrain que la bande ecoutait.
  Puis le choeur reprenait sa folle bacchanale
  Comme fait, dans la nuit, une troupe infernale
  Qui tantot meurt dans l'ombre et qui tantot renait.

  Six mois sont ecoules. Du passe, plus de trace
  Qu'un chant mysterieux dans les echos plaintifs.
  C'est une nuit d'orgie a se voiler la face;
  Le vin repand l'ivresse et les amours lascifs.

  STELLO.

  Qui parle du passe? La peste du trappiste
  Qui vient gemir ici!--Georgette, mon cher coeur,
  Tu me laisses mourir de soif.--Maudit chanteur!
  C'est a lui qu'est la faute avec sa chanson, triste
  Comme un souper sans femme.--Au diable l'aubergiste!--
  Heureux celui qui dort quand il est gris! D'honneur,
  Quiconque a le vin triste est un mechant buveur.
  Hors d'ici les regrets et la melancolie!
  Je veux boire ce soir a tout ce qui s'oublie,
  Aux filles, au bon vin, a l'homme, au monde entier!
  --A la litterature!--A la gendarmerie!
  Boirons-nous a l'amour? Mais l'amour fait pitie;
  On abuse du mot, c'est une maladie.
  A la sante de ceux qui croyaient a l'amour!

        (Il chante avec le choeur et s'accompagne on faisant sonner
           sa bourse dans sa main.)

                     Non! Non!
                     Non! Non!
              Voila ce qu'aime Margot!

  Par Bacchus ivre-mort! c'est une pauvre espece
  Que ces malheureux-la qui s'en vont nuit et jour
  Dans le creux des echos declamant leur tristesse.
  L'amour, meme au theatre, est un moyen use.
  D'abord c'est melodrame...

  GEORGETTE, elevant son verre.

                      A toi, mon adore!

  STELLO.

  Ma belle, cela vaut un baiser....--Que je meure
  Si je n'ai pas vide dix flacons tout a l'heure!
  Ventre et boyaux! jamais je n'eus tant de gaite.
  Les murs sont a l'envers ... ha! ha! la belle danse!
  Vous avez tous la tete en bas ... les pieds en l'air....
  Morbleu! c'est evident, je sais ce que j'avance;
  Le premier qui dira que je n'y vois pas clair...--
  Dieu! que j'ai soif!... Messieurs, je bois a l'hymenee!
  Je deviens vertueux quand il est si matin.
  _Ma, corpo di Baccho!_ mon verre est encor plein?
                                           (Il boit.)
  A boire!... j'ai dans l'ame une joie insensee....
  Decidement, l'homme est un piteux mannequin....--
  Que je voudrais avoir le ventre de Silene!
  Je boirais un tonneau, ce soir, tout d'une haleine.--
  Georgette ... je suis gris, mon coeur, en verite!
  Au diable les soupirs!...--Vive la volupte!
  Du vin! je meurs de soif.--Allons, la courtisane,
  Chante-nous le refrain d'une chanson profane;
  Chante nos vins de France et nos amours perdus!
  Les seins nus, et debout! seule, au milieu du groupe!
  Silence! La bacchante a tordu ses bras nus;
  Sa levre brille encor des rubis de la coupe.

          CHANSON DE GEORGETTE.

      Vive le vin! les nuits d'ivresse!
      Vivent la table et la beaute!
      Vrai Dieu! la vie enchanteresse
      C'est le plaisir et la paresse!
      Rien n'est vrai, hors la volupte!

      Vive l'amour des courtisanes!
      L'amour qui s'obtient sans effort.
      Vivent les yeux de ces sultanes,
      Les baisers sur les ottomanes
      Quand le vin ruisselle avec l'or!

      Malheur aux femmes de ce monde!
      Honte a ces begueules sans coeur!
      Leur metier de vertu profonde
      Est encor cent fois plus immonde
      Que notre metier d'impudeur.

      A nous leurs maris et leurs freres!
      Nous autres, les filles sans nom,
      Nos caleches sont plus legeres;
      Et leurs fils boivent dans nos verres
      Pour nous venger de leur affront.

      Vive la clarte des bougies!
      Vivent la debauche et le bruit!
      Comme les levres sont rougies!
      Les yeux palis par les orgies
      Ne brillent plus qu'apres minuit.

      D'ailleurs, nous sommes les plus belles,
      Et, partout, c'est nous qui tronons;
      C'est pour nous qu'ils sont infideles,
      Mais ils ne valent pas mieux qu'elles,
      Ces beaux fils que nous ruinons.

      Oui, votre sottise est etrange,
      Car vous nous faites les yeux doux
      Et nous meprisez en echange;
      Mais vous nous trainez dans la fange
      Sans pouvoir vous passer de nous.

      A nous vos jeunesses rendues,
      Vos bijoux, vos chevaux de prix,
      Vos amours, vos santes perdues!
      A nous, a nous, filles vendues!
      Pour nous venger de vos mepris.

      Vive l'atmosphere etouffante
      Qui se repand dans un festin!
      Puisque c'est le vin que je chante;
      Plus la chaleur est accablante,
      Meilleur encore en est le vin!

      Vive le vin! les nuits d'ivresse!
      Vive la table et la beaute!
      Vrai Dieu! la vie enchanteresse
      C'est le plaisir et la paresse!
      Rien n'est vrai hors la volupte!

  LE CHOEUR.

  Ta chanson a menti, Georgette.
  C'est immoral!

  GEORGETTE.

           Dieu! qu'il est bete!
  Allez au diable!

  LE CHOEUR.

                       Au diable? bon,
  J'y suis. Le trajet n'est pas long.
  Vive Dieu! l'enfer est en fete.
  Ma foi! le bourgogne a du bon,
  Ma voisine dort comme un plomb,
  Tout ce vin me porte a la tete.
  Vivent le diable et le macon!
  Vive Georgette!... et sa chanson!
  Georgette a lu de mauvais livres!
  L'auteur!

  STELLO.

  C'est moi!... vous etes ivres.

                     (Il roule de sa chaise.)

  LE CHOEUR.

  Hurrah!--he!--hola!--ho!--bravo!
  Silence!... en triomphe Stello!
  Il faut le coucher sur la table.
  Parle donc!... as-tu soif?... Que diable!
  Il ne fait pas un mouvement.
  Salut! c'est le roi de la fete!
  Monte a cote du roi, Georgette,
  Et verse a boire a ton amant.

  Telle dans la campagne, a cette heure attardee,
  L'orgie osait troubler le silence des bois.
  La maison d'ou partaient ces cris et cette voix,
  Etait celle ou Stello, cette meme soiree,
  Sur la fin d'un souper se trouvait ivre-mort.
  Ainsi que l'avait dit un ami charitable,
  Sans qu'il put dire un mot, ni faire un seul effort,
  On l'avait de son long etendu sur la table
  Ou le seigneur du lieu tronait, sans sourciller,
  Les pieds dans les debris d'un salmis de faisane
  Tandis qu'un jambon d'York lui servait d'oreiller.
  Aupres de lui debout, la belle courtisane,
  Georgette, la bacchante au front echevele,
  La levre en feu, les yeux brillants de volupte,
  Laissant voir son beau sein qui s'abaisse et qui monte,
  Ivre de bruit, de vin, de plaisir et de honte,
  Achevant le refrain qu'elle avait commence,
  Lui versait de son haut un flacon sur la tete.
  Cependant qu'autour d'eux le reste de la fete,
  Sans cesse redoublant son tapage effrene,
  Avec des cris de joie, au comble de l'ivresse,
  Dansait, criait, hurlait, et dans son allegresse,
  Pres de tomber aussi, semblait plus acharne.

  Stello, lui, l'oeil eteint, le visage livide,
  Ses cheveux inondes et colles par le vin,
  Son beau col debraille dans sa chemise humide,
  Plus pale que jamais sous la clarte morbide
  Des lustres que deja palissait le matin,
  Laissait pendre ses bras comme une masse inerte.

  Ah! si Rosine alors, par une porte ouverte,
  Avait pu contempler ce spectacle navrant!
  Devant cette misere et cet abaissement,
  Devant ce regard morne et cette indifference;
  En songeant qu'elle avait d'une vaine esperance
  Berce ce coeur qu'ensuite elle avait dechire;
  En songeant qu'elle seule avait desespere
  Celui qui cherchait la l'oubli de sa souffrance
  Et qu'a peine, aujourd'hui, son oeil reconnaitrait;
  En retrouvant ainsi cette riche nature
  Ou la pale Debauche imprimait sa souillure,
  Aurait-elle pleure de ce qu'elle avait fait?


  VI

  Depuis tantot six mois qu'il menait cette vie,
  Cherchant en vain l'oubli qu'il ne pouvait trouver,
  Apres avoir couru par toute l'Italie,
  Suivi du train royal d'un prince qui s'ennuie,
  Un soir notre heros debarqua dans Alger.
  Son luxe pouvait seul egaler sa folie,
  Et, pour le coup, Stello se ruinait bel et bien.
  Les faciles amis qu'il trainait a sa suite
  Prevoyaient, sans aller ni plus loin ni plus vite,
  Que leur hote, en deux ans, mangerait tout son bien.
  Lui-meme il le savait et glissait de plus belle
  Sur la pente fatale ou nous pousse l'ennui.

  Il disait seulement,--sa ruine vint-elle,--
  Qu'il partirait avant qu'on n'en sut la nouvelle,
  Et qu'on n'entendrait plus, des lors, parler de lui.
  Pour le moment Stello, sans souci de la vie,
  Menait un train de prince en son chateau d'_Hydra_.
  C'est la que nous l'avons, par une nuit d'orgie,
  Retrouve, s'affolant en noble compagnie,
  Fort epris de Georgette et gris comme un soldat.

  O dedale du coeur, labyrinthe plein d'ombre!
  Mystere de l'amour,--o palais!--o decombre!
  Qui de nous a jamais sonde ta profondeur?
  Ceux qui l'ont voulu faire en sont morts de douleur
  Sans avoir vu la fin de tes detours sans nombre.
  Si basse est donc ta voute et ton chemin si sombre
  Que, parmi tant de fronts que ton air a fletris,
  Les plus hautains soient ceux qui sont les plus meurtris?
  Est-il vrai qu'ici-bas il n'est de grands poetes
  Que ceux qui n'ont chante dans leur divin concert
  Et pleure dans le vent de leurs nuits inquietes
  Que leurs sanglots reels et que leurs propres fetes,
  Et que l'on n'est si grand que pour avoir souffert?
  Se peut-il donc, mon Dieu, que l'amour d'une femme
  Une misere, un rien, un caprice ecoute,
  Jette, ainsi qu'une tete au tranchant d'une lame,
  Notre coeur dans la boue et qu'il creuse en notre ame
  Une plaie ou se va perdant l'eternite?

  Ce pale libertin, ce masque a l'oeil stupide
  Qui regarde sans voir, ce fantome livide,
  Ce cadavre vivant, le reconnaissez-vous?
  Ce ne peut etre lui.... C'est un autre.... Il se leve:
  Non, ce n'est point Stello qui gisait la-dessous.
  C'est une ombre sans os, comme on en voit en reve.
  Mieux vaudrait, si c'est lui, l'avoir perce d'un glaive
  Et jete ses lambeaux aux fanges des egouts.
  Circe se vanterait de sa metamorphose!
  Ce ne peut etre lui. C'est une horrible chose,
  Cependant, que de voir un aussi jeune front
  Pale et deja courbe sous cet immonde affront.

  C'etait pourtant bien lui, cet enfant qui, la veille,
  Capable de tout bien comme de tout honneur,
  Osait parler d'amour et croyait au bonheur.
  Telle on voit, dans les champs, une feconde treille
  S'embellir, appuyee au flanc d'un chene altier:
  Mais un jour l'arbre tombe, et la vigne, en souffrance,
  Ployant sous le fardeau de sa propre abondance,
  Se mele dans la boue aux pierres du sentier.

  Tant qu'il avait garde quelque faible esperance
  D'etre aime de Rosine, il sentait cet amour
  Vivre dans sa poitrine et grandir en son ame,
  Et, comme un acier pur s'endurcit a la flamme,
  Sa nature, en aimant, s'elevait chaque jour;
  Mais, une fois ce charme arrache de sa vie,
  Une fois qu'il eut vu la derniere lueur
  Qui lui montrait le ciel, s'eteindre dans son coeur,
  Alors il lui sembla, dans sa fierte meurtrie,
  Que ce monde, apres tout, n'est qu'une comedie
  Infame et desolante, et que c'est un malheur
  Pour tout homme, ici-bas, d'etre un homme d'honneur.
  Lors, mesurant l'abime, il comprit sa detresse;
  Et son coeur retomba d'autant plus desole
  Qu'il s'etait eleve plus haut dans sa tendresse
  Pour suivre en souriant son fantome envole.
  C'est ainsi que l'on voit, dans le soir etoile,
  Un nuage qui passe emprunter un visage
  Dont notre oeil se complait a suivre le mirage;
  Et qu'enfin, quand la brise en disperse l'image,
  Reveille tout a coup de ce reve enchante,
  Notre coeur se debat dans la realite.
  Grandi par son amour, c'est par lui qu'il s'abaisse!
  Plus vaillant fut Stello, plus morne est sa faiblesse!
  Tout ce qui l'eut fait grand se tourne contre lui,
  Et c'est son propre coeur qui le tue aujourd'hui.

  C'etait bien lui. Son coeur tressaillait en lui-meme.
  En vain il refoulait, par un effort supreme,
  Ses larmes et ses cris et sa folle douleur;
  En vain il affectait une froide ironie;
  En vain dans la debauche il consumait sa vie;
  En vain, pour le tuer, il reniait son coeur:
  Son coeur n'etait pas mort! Grandi par sa souffrance,
  Pendant les nuits d'ivresse et de pales exces,
  Sous son masque impassible il pleurait en silence.
  Mais, sitot qu'il sortait de son sommeil epais,
  Stello sentait en lui sa terrible morsure,
  Et, plus vivace encore apres sa fletrissure,
  De son ancien amour l'eternelle torture
  Se reveillait alors, plus rude que jamais.

  Quelquefois, cependant, sa puissante nature
  Reprenait le dessus. Il redevenait lui.
  Alors il se disait qu'ici-bas rien ne dure,
  Et, se trouvant plus calme, il croyait a l'oubli.
  Ces jours-la, fatigue de sa derniere orgie,
  Las de son monde et las de sa banale vie,
  Pour errer librement et rever sans temoin
  Il partait a cheval et s'en allait au loin,
  Marchant a l'aventure et, laissant sa pensee
  Lui retracer tout bas sa jeunesse effacee,
  Conduit par son murmure et berce par son chant.
  Souvenirs qui vivez dans notre ame endormie,
  Charme mysterieux! votre melancolie,
  D'ou vient-elle? et que veut son murmure enivrant?

  Par un de ces jours-la, seul, comme a l'ordinaire,
  Stello longeait la mer et se laissait aller
  A ce calme complet ou la nature entiere,
  Sous ces ardents climats, semble se devoiler.
  C'etait en plein automne. On eut dit que la terre
  Eut cache, ce jour-la, le soleil dans son flanc,
  Tant le ciel etait tiede et le jour caressant!
  Il s'enivrait. Pour lui c'etait un nouveau monde
  Que ses yeux saluaient pour la premiere fois.
  Tout s'etait efface: ses reves d'autrefois,
  Sa fievre, ses sanglots, sa misere profonde.
  Tout, jusqu'a son amour, jusqu'a l'ivresse immonde,
  Jusqu'a son nom, jusqu'a ses yeux, jusqu'a sa voix.
  Son coeur etait vivant! Il sentait sa jeunesse
  Se soulever en lui sous le souffle divin
  Qui passait dans son ame, et, comme une ombre epaisse,
  Les cendres du passe s'envoler de son sein.
  Son coeur etait vivant! Il aimait la nature.
  Il se bercait au chant de l'onde qui murmure
  Et comprenait le monde on regardant les cieux.
  Il lui semblait entendre une voix inconnue
  Dont le timbre, dans l'air, chantait sa bienvenue
  Et volait sur ses pas, oiseau mysterieux.
  Son coeur etait vivant!

                         Quand il vit la campagne
  Se teindre a l'horizon de la paleur du soir,
  Quand il vit le soleil pencher sur la montagne
  Qui se dressait deja comme un fantome noir,
  Alors il s'apercut qu'une grande distance
  Le separait d'Alger qu'il ne pouvait plus voir.
  Nul bruit au loin. Le flot troublait seul le silence.
  Il tourna son cheval pour mieux s'orienter
  Et vit, dans un rayon lointain, se dessiner
  _Sidi-Ferruch_, ainsi qu'un fil sur la mer bleue;
  Il tourna derechef et gravit le coteau:
  Le _Tombeau de la Reine_ au loin; a droite l'eau;
  A gauche, _Coleah la Sainte_; un quart de lieue
  Le separait alors de ce fond sans pareil
  Ou s'endort _Bou-Smael_ au couchant du soleil.

  Stello prit le parti d'y coucher a l'auberge.
  Un quart d'heure plus tard il etait attable
  _Hotel de la Panthere_, aspirant l'air sale
  Que fraichissait le soir et qu'exhalait la berge.

  En face, a la fenetre, une enfant de seize ans
  Le regardait diner. Elle etait blonde et blanche:
  Blonde,--comme Rosine,--ayant ses traits charmants,
  Appuyant sur sa main sa tete qui se penche
  Et laissant son travail pendre sur ses genoux,
  Reveuse dans sa pose et comme subjuguee,
  Elle considerait Stello d'un oeil si doux
  Qu'il n'est douceur au monde a s'en faire une idee.
  Raphael l'eut concue et Greuze l'a revee.
  Quel mystere insondable elle avait dans les yeux!
  Dans le pays, chacun se la rappelle encore,
  Moins doux que ses regards sont les feux de l'aurore;
  Moins profonde est la mer et moins purs sont les cieux.
  --Providence ou hasard,--quel destin, sur ces plages
  Reservait cette perle au souffle des orages?
  Au village on disait qu'elle riait toujours
  Et qu'un ange habitait son ame. De nos jours
  Il faut aller si loin trouver telle sornette!
  Quoi qu'il en soit, un ange a de moins purs contours.
  Du nom comme des traits, ressemblance complete:
  Elle se nommait Rose: on l'appelait Rosette.

  Quand la Fatalite nous trace le chemin,
  Insense qui s'agite et croit fuir son destin.

  Rose le contemplait toujours, tendre et plus belle.
  Pourquoi ce long regard attache sur le sien?
  Pourquoi cette rougeur sur ce front de pucelle?
  Pourquoi ce flot d'amour qui bouillonnait en elle
  Alors que cette enfant meme n'en savait rien?
  Qui l'approfondira, cet eternel mystere?
  Chaine d'anneaux perdus qu'on retrouve plus tard
  Pele-mele enlaces, renoues au hasard
  Pour se briser encore.--Et quelle chaine amere,
  Qui brise, en se rompant, les coeurs qu'elle resserre!
  Le fait est que Stello palit horriblement
  Lorsqu'en levant les yeux il vit ce front charmant,
  Se croyant le jouet de quelque mauvais ange.
  Leurs yeux s'etaient croises d'un si rapide echange
  Que son verre faillit echapper de sa main.
  Mais lui, se reprenant, d'un mouvement soudain,
  Il le vida d'un trait avec un rire etrange.

  Tous deux s'etaient aimes quand revint le matin.


  VII

  Ou sont-ils?--_Le Meandre_ est parti pour la France.
  Le flot, de son sillage a garde la nuance
  Dont la nacre s'efface. On peut encor le voir
  Au tournant des rochers. "Adieu climats etranges
  Ou j'ai souffert! Adieu golfe aux mourantes franges
  Que l'aube diamante et qu'argente le soir!
  Je ne vous verrai plus, beaux lieux de ma souffrance,
  Bords temoins de ma honte et de mon desespoir."
  ... Il glisse, il fuit toujours. L'onde qui le balance
  N'a jamais au soleil etale plus d'azur.
  Adieu!--Stello!--Rosette!--Esperance! Esperance!

  Enfants! la vie est longue et l'horizon si pur.

  L'horizon peut trahir et la mort nous surprendre.

  Sur la proue appuyes, seuls et silencieux,
  Deux jeunes gens sondaient cette mer et ces cieux
  Qu'ils quittaient pour jamais, ne pouvant se defendre
  D'une tristesse eparse a travers leur bonheur.
  Les passagers, voyant deux ames tant unies,
  Se racontaient tout bas qu'apres mille folies
  De debauche et de luxe, _il_ s'etait pris de coeur
  Pour _elle_ qu'il avait enlevee et ravie,
  Et qu'il s'en revenait avec elle a Paris
  Pour fuir les lieux temoins de son ancienne vie,
  De ses jours sans ardeur plus pales que ses nuits.


  VIII

  Par quels detours secrets le hasard qui nous mene
  Ne peut-il nous conduire a son but ignore?
  Par quel fatal pouvoir l'homme est-il condamne
  A suivre malgre lui le destin qui l'entraine?
  Tel recherche la mort qui ne la trouve pas.
  Tel autre la redoute et s'attache a la vie
  Qui, laissant a moitie sa tache inaccomplie,
  Plein d'espoir et d'amour, vole vers le trepas.
  Spectre aveugle, o Destin! ce monde est ton esclave.
  Insense qui te fuit! Malheur a qui te brave!
  O vieillard entete qui nous tiens dans la main;
  Quel grief as-tu donc contre le genre humain
  Pour que le Tout-Puissant, protegeant ta vengeance,
  Ait pu l'abandonner a ta lache puissance?

  O Muse! prends le deuil! pars et retiens tes chants
  Loin de ces souvenirs que ma plume souleve.
  Mon ame se reporte a de cruels instants.
  Triste recit, pourquoi faut-il que je t'acheve?
  Pour mes vers desormais il n'est plus de printemps;
  Ni les parfums du soir, ni les bruits de la greve
  Ne se meleront plus a mes tristes accents.

  Jeunes, libres tous deux, souriant a la vie,
  Rosette et son amant s'aimaient a la folie,
  Et tenaient leurs amours pour uniques soucis,
  S'inquietant fort peu du reste; et l'habitude
  Qu'avait prise Stello, des qu'il fut a Paris,
  De n'amener chez lui pas un de ses amis,
  Fit que rien ne troublait leur chere solitude.
  Ils vivaient donc heureux autant qu'il est permis.

  Mais combien ce bonheur fut de courte duree!
  Comme ils etaient comptes ces beaux jours! Destinee!
  Destinee impassible! Oh! sombre lendemain
  Que suspendait sur eux ton immuable main!
  N'as-tu donc dans le coeur de pitie ni de honte
  Qui te puisse emouvoir? Et n'est-il ici-bas
  Nul qui puisse esperer, en te tendant les bras,
  Que sa priere, au moins, te peut rendre moins prompte?

  Or quoi qu'il l'eut voulu, Stello ne pouvait pas
  Fuir le monde, et partant, y faisait bonne mine,
  Engage qu'il etait par son ancien eclat.
  Le bruit de son retour fut, comme on l'imagine,
  Un grand evenement dont tout Paris parla.
  On medit bien un peu, mon lecteur le devine,
  Cependant tout etait pour le mieux jusque-la.
  Mais helas! quel bonheur jamais ne s'envola?
  Insenses qu'ils etaient!--Ah! fremissez, madame!
  Fremissez, car ce conte, ici, se change en drame.
  Ma plume, en ce moment, hesite a retracer
  Le simple et froid recit d'aussi penibles choses.
  Helas! o ma lectrice, otez vos habits roses!
  O ma lectrice, helas! vos beaux yeux vont pleurer.

  Les amis de Stello, qui voyaient la comtesse,
  N'avaient garde,--on s'en doute un peu,--de lui cacher
  Ni comment il vivait, ni combien sa maitresse
  Lui ressemblait. C'etait, dit-on, a s'y tromper
  Jusques a les confondre et dire: _Les deux Roses._
  A force d'en parler on fit tant et si bien
  Que le hasard, habile en ces sortes de choses,
  Les fit se rencontrer au Theatre Italien.

  O Sphinx! entre les sphinx, impossible a comprendre!
  En retrouvant celui qu'elle avait desole,
  Assis en face d'elle aupres d'une autre femme,
  En le voyant heureux, et le sachant aime,
  Rosine, dans son coeur, sentit comme une lame
  Dont le contact mortel, en dechirant son ame,
  Lui fit comprendre alors que _lui_ s'etait venge.
  Et celle dont la bouche avait ete muette,
  Celle qui, froidement, avait brise ce coeur
  Et s'etait fait un jeu d'une atroce douleur,
  Ressentit a son tour cette fievre inquiete
  Dont il avait souffert, et se prit a l'aimer.


  IX

  Que faire au bal masque si ce n'est d'y flaner,
  Quand on est amoureux et qu'on sait que sa mie
  Ne s'y doit point trouver? Lecteur, je vous supplie,
  Lorsqu'on la sait chez elle et qu'on y doit aller,
  Que faire en attendant sinon que d'y flaner?
  Stello pensait ainsi. Revant a sa maitresse
  Et contraint d'etre au bal, il flanait de son mieux,
  Par-ci par-la mettant un nom sur une tresse,
  Et s'amusait de voir passer devant ses yeux
  Ce cortege dansant et d'ecouter sans cesse
  Le gai bourdonnement de cet essaim joyeux.
  Il restait donc perdu dans cette reverie
  Ou ce flot paillete de rire et de folie,
  De soie et de velours l'enfoncait pas a pas;
  Suivant ce reve ami sans en chercher la cause,
  Lorsqu'il en fut tire par un domino rose
  Qui, prononcant son nom et lui prenant le bras,
  L'entraina dans le bal en lui parlant tout bas.

  A l'azur de ses yeux pleins d'ombre et de tendresse,
  Stello croyait avoir reconnu sa maitresse.
  Il etait bien un peu surpris de la voir la,
  A cette heure, tandis qu'il la croyait chez elle;
  Peut-etre aussi ... vexe qu'on le crut infidele:
  Mais quel mal un amant peut-il voir a cela?
  Il est vrai que Rosette etait peu coutumiere
  Du fait; mais une nuit, mauvaise conseillere,
  Avait pu lui souffler au coeur quelque soupcon.
  Donc, a n'en pas douter, c'etait elle. La chose,
  Au reste, etait d'autant plus probable que Rose
  Connaissait quelque peu le maitre de maison.

  A propos de cela, madame, il faut vous dire
  --Ce qui fut fait deja, si je savais ecrire,--
  Qu'entre ces deux beautes, dont il est question,
  La seule difference apparente et tranchee
  Etait un signe noir gros comme un grain de plomb
  Dont Rosette portait la main gauche marquee.

  Or donc, il arriva ce que vous prevoyez:
  Qu'un gant trompa Stello; qu'a force de tendresse,
  De ruse feminine et de regards noyes,
  De desir et d'amour, cette autre enchanteresse
  Eut raison du jeune homme ... et qu'il etait trop tard,
  En un mot, quand Stello reconnut la comtesse.
  En vain eut-il voulu maudire le hasard;
  Sa bouche ne pouvait mentir a sa pensee;
  Tout son amour passe lui refluait au coeur,
  Envahissant soudain sa poitrine oppressee,
  Sans qu'il en put maudire ou dominer l'ardeur.
  O chaste amante! et toi, pauvre Rose endormie,
  Helas! dans cet instant ou se jouait ta vie,
  Pendant que ton Stello mourait entre des bras
  Qui n'etaient pas les tiens, tu ne t'eveillas pas!


  X

  Voila notre amoureux avec ses deux maitresses
  Pareilles en tous points; d'un aussi tendre amour
  Les aimant toutes deux et croyant sans detour
  Rester loyal, tout en partageant ses caresses.
  Vainement cherchait-il a se persuader
  Qu'il ne devait point vivre en cette double ivresse;
  Lui-meme il condamnait sa coupable faiblesse
  Et ne pouvait pourtant se resoudre a quitter
  L'une ou l'autre des deux et, rien que d'y songer,
  Il etait pris soudain d'une telle tristesse
  Qu'il se sentait palir et le coeur lui manquer.
  Aux genoux de Rosine il se jurait dans l'ame
  Que son coeur, malgre lui, n'aimait que cette femme
  Et faisait le serment,--pauvres serments d'amours!--
  De ne plus voir jamais Rosette de ses jours.
  Mais quand, la nuit venue, il revoyait Rosette,
  Honteux et repentant, il s'avouait tout bas
  Qu'elle seule regnait sur son ame inquiete,
  Et, sincere toujours, lui jurait sur sa tete
  Qu'il n'avait, de sa vie, aime que dans ses bras.

  Quoi qu'il en soit, flottant de l'une a l'autre amie,
  Notre amoureux menait une assez douce vie
  Et se trouvait si bien dans ce tendre embarras
  Que, soit pour conserver sa chere inquietude,
  Soit par oubli, faiblesse ou par incertitude,
  Soit pour toute autre chose, il ne s'en sortait pas.


  XI

  Qu'a-t-elle donc, Rosette? Une vague tristesse,
  Comme un pressentiment a travers son bonheur,
  Vient noyer son regard et donne a sa tendresse
  Je ne sais quel accent de furtive langueur.
  Tu souffres.... Par moments ta voix entrecoupee
  Trahit le battement de ton coeur inquiet.
  Ton front moite est brulant et ton sommeil distrait
  Souleve a chaque instant ta poitrine oppressee.
  Pourquoi t'eveilles-tu soudain, les yeux en pleurs?
  Qu'as-tu donc a pleurer? Pourquoi ton beau sourire
  Est-il d'une tristesse impossible a decrire?
  Quel est-il donc, enfant, ce mal dont tu te meurs?
  Il t'aime, lui, pourtant; et ton ame est ravie
  Au seul bruit de ses pas. Son amour est ta vie;
  Il t'a dit ce matin qu'il ne vit que pour toi.
  Deja dans ton amour as-tu perdu ta foi?
  Pleure donc, pauvre fille, et soulage ton ame!
  Laisse-la deborder, cette amere douleur
  Si grande qu'elle n'a d'egal que ton malheur!
  Elle te vient du jour ou tu vis cette femme.
  Cette comtesse, il l'aime et ton coeur te l'a dit;
  Et tes yeux ont compris, a son mortel silence,
  Le secret de sa vie; et cette ressemblance
  T'a fait connaitre aussi le mal qui te poursuit.

  Mais Rosine, elle aussi, souffrait d'un mal etrange
  Et, malgre ses serments, en femme qu'elle etait,
  Devinait par instinct que Stello la trompait.
  Elle eut voulu pouvoir, en se donnant le change,
  Calmer sa jalousie et croire en son amant;
  Mais lorsque ce serpent, s'enroulant dans notre ame,
  Nous laisse au coeur son dard aigu comme une lame,
  Rien n'en peut arreter l'aiguillon dechirant.

  Un soir elle insista pour qu'il vint avec elle
  Entendre, aux Italiens, le _Don Juan_ de Mozart.
  Le jeune homme accepta, souriant du hasard.
  Il comparait la piece a la scene reelle
  Qu'il jouait chaque jour; il ne soupconnait pas
  Que son festin de Pierre, a lui, fut aussi proche,
  Et qu'il courait, riant de sa propre debauche,
  Vers un sort plus affreux que son propre trepas.

  Comme ils venaient d'entrer tous deux dans la baignoire,
  Un frolement, pareil a celui de la moire,
  Fit retourner Stello vers la loge a cote.
  Un sanglot en sortit alors, faible, etouffe,
  Qui le fit tressaillir des pieds jusqu'a la tete.
  Il ne put prononcer que le nom de Rosette;
  Puis, se levant, plus pale et plus froid que la mort,
  Il courut a sa loge et, d'une main tremblante,
  Relevant doucement sa maitresse mourante,
  La prit, et, comme un patre emporte un agneau mort,
  S'enfuit on emportant son douloureux tresor.


  XII

  Deja la lampe d'or au plafond suspendue
  Palit de ses rayons l'indecise clarte.
  La pendule sonore a par deux fois tinte.
  Blanche et silencieuse ainsi qu'une statue,
  N'est-ce pas, sur ce lit, une enfant etendue
  Qui s'endort dans sa fleur ou meurt dans sa beaute?

  C'est Rosette. Jamais ce beau corps qui sommeille
  N'a d'un plus pur contour dessine sa blancheur.
  Ses yeux ont oublie leurs larmes de la veille;
  Son sourire trahit le reve de son coeur.
  Pourtant, a son chevet, son amant qui la veille
  Semble chercher un souffle a travers sa paleur.

  Il ecoute. On dirait parfois qu'elle soupire
  Comme un enfant qui dort apres avoir pleure;
  Sa levre palissante, a son reve adore,
  Semble vouloir s'ouvrir pour conter son martyre;
  D'autres fois, au contraire, il croit voir un sourire
  Eclairer en passant son front decolore.

  Mais non, c'etait un songe, elle n'a pas bouge.
  Son front est reste pale, et sa levre entr'ouverte
  Sous les rayons mourants n'a pas meme tremble.
  Rien! Pas meme un soupir dans la chambre deserte!
  O sombre et lente nuit! O funebre clarte!
  Rien! Rien que le silence et l'immobilite.

  N'osant plus l'appeler, il prend sa main inerte:
  Cette main est glacee et retombe aussitot.
  Alors, sans qu'une larme a ses yeux soit montee,
  Il pousse un long cri sourd d'une voix etouffee,
  Et, sur ce meme lit ou Rosette est couchee,
  Une derniere fois, sans prononcer un mot,
  Serrant entre ses bras cette fille adoree,
  Dans un dernier baiser jette un dernier sanglot.
  Deja de ce beau corps l'ame etait envolee;
  Il ne pressa sur lui qu'une ombre inanimee....
  Sa main fut sans etreinte et sa voix sans echo.

  Lors, prenant dans ses bras sa maitresse expiree,
  Comme elle avait tenu sa main gauche fermee,
  Un papier, qu'il n'avait pas encore apercu,
  En tomba tout froisse. L'ouvrant alors, il lut
  Le billet que voici, de la main de Rosine:
  _"Ce soir, aux Italiens, la chanteuse est divine.
  Nouveau duo d'amour; qui viendra l'entendra.
  La seconde baignoire est a gauche;--c'est la."_
  Alors il comprit tout; et sa tete penchee
  Demeura jusqu'au jour dans ses deux mains cachee.
  Sa mere, le matin, ne l'eut pas reconnu.

  Il est parti depuis et nul ne l'a revu.

  Rosine aime le monde et le cherche sans cesse;
  Elle souffre, dit-on, d'une etrange tristesse,
  Et cherche dans le bruit un oubli mensonger.

  Qui de nous, ici-bas, peut sonder son mystere?
  Quand le vent du destin a passe sur la terre,
  Nul n'a compte les fleurs qu'il en put arracher.


  1862.




LEONE

--CONTE AUX JEUNES FILLES--


  I

  Dans ce temps-la, mesdemoiselles,
  Paris etait, comme aujourd'hui,
  La ville des epoux fideles;
  On en citait bien sept ou huit.
  Les gens naifs dormaient la nuit
  Et les bonnes moeurs etaient telles
  Qu'il fallait qu'un pere eut conduit
  Sa fille a trois pieces nouvelles
  Pour qu'elle en sut autant que lui.

  Comme aujourd'hui, chaque menage
  Etait d'un exemple touchant:
  Jamais on ne parlait d'argent
  Dans les contrats de mariage.
  Les maris n'etaient point tenus
  D'etre plus riches que Cresus;
  Leurs moities etant peu coquettes,
  Les trois quarts de leurs revenus
  Suffisaient presque a leurs toilettes.

  Entre autres details singuliers,
  Il parait qu'en ces temps austeres,
  Suivant leurs gouts irreguliers,
  Ces dames avaient des bottiers
  Et ces messieurs des bouquetieres.

  Quant au scandale, on ignorait
  Absolument ce que c'etait,
  Car, Dieu merci! pour la constance,
  Paris est le pays de France
  Qui craint le moins la concurrence.
  Les rois s'en vont; mais les ramiers
  Nichent toujours aux Tuileries.
  Leur amour n'a pas deux patries;
  C'est la, dans les grands marronniers,
  Que ces doux oiseaux familiers,
  Modeles des coeurs reguliers,
  Ont etabli leurs galeries.

  Charme etrange des reveries!
  A voir ces hotes printaniers
  Perdus sous les ombres fleuries,
  Je songe a tous les amoureux
  Qu'attire ce sejour ombreux
  Et j'admire la ressemblance
  De ces oiseaux si gracieux
  Avec certains petits messieurs.
  Au fond, le plus pigeon des deux
  N'est pas toujours celui qu'on pense.
  Quant aux belles, je ne veux pas
  Les comparer a nos palombes;
  Mais ce n'est point, dans tous les cas,
  Le bec qui manque a ces colombes,
  Ni la douceur, ni la beaute,
  Ni meme la legerete.

  Mais, s'il vous plait, mesdemoiselles,
  Reprenons pour quelques instants
  La chronique du bon vieux temps
  Dont je vous donnais des nouvelles.

  Alors, toujours comme aujourd'hui,
  Les devotes, c'etait l'usage,
  Se rendaient en pelerinage
  Autour du "Lac" avant la nuit.
  C'etait dans un bois solitaire
  Et sauvage qu'on appelait
  Bois de Boulogne; et l'on allait
  Y deployer un luxe austere.
  On voyait la, sous les bouleaux,
  Des creatures angeliques
  Avec de tout petits chapeaux,
  En caleche a quatre chevaux,
  Prendre des airs melancoliques.
  D'autres n'avaient qu'un huit-ressorts
  A deux chevaux, pas davantage!
  Et dans ce modeste equipage
  Abritaient leurs humbles tresors.

  Meme rigueur pour le costume.
  On poussait la simplicite
  Jusques a la severite.
  Je sais bien que c'est la coutume;
  Mais vraiment on allait trop loin.
  On outre-passait sur ce point
  La limite des exigences.

  Jusqu'a trois fois on remettait
  La robe neuve qu'on portait;
  Et l'on ne se decolletait
  Jamais, a moins de circonstances
  Tres-rares, c'est-a-dire: bals,
  Concerts, reveillons, festivals,
  Soupers, receptions, soirees,
  Conferences, cours, matinees,
  Seances, diners d'apparat,
  Soirs d'Italiens, soirs d'Opera,
  Lunchs, punchs, raouts, "et caetera."

  A part cela, les elegantes,
  Au dire de plus d'un auteur,
  Avec la plus stricte rigueur,
  S'en tenaient aux robes montantes;
  Et, par un exces de pudeur
  Dont on retrouve encor la trace,
  Se resignaient de bonne grace,
  Pour mieux cacher leurs cous mignons,
  A porter d'enormes chignons
  Que leurs coiffeurs, mis en campagne
  Et charges de ces soins discrets,
  Leur faisaient venir tout expres
  De Picardie et de Bretagne.

  J'ai vu des factures du temps;
  Un chignon du plus grand modele,
  Bien monte, garanti quatre ans,
  De la qualite la plus belle,
  Valait de quatre a cinq cents francs,
  Mais quelle solide coiffure!
  Decidement, je vous le jure,
  C'est un luxe que je comprends
  Que celui de la chevelure.
  C'etait un si bel ornement
  Que ces chignons! Et puis vraiment,
  Pour une mere de famille,
  Est-il un souci plus charmant
  Que de leguer par testament
  Ses fausses nattes a sa fille?

  Enfin, pour vous depeindre mieux
  Cette epoque exceptionnelle,
  Je puis vous apprendre sur elle
  Un detail assez curieux.
  Suivant le quartier de la lune
  Une femme etait blonde ou brune
  Et, de la veille au lendemain,
  Changeait sa paleur en carmin:
  Car on detestait la paresse
  Dans cet age a present vante.
  Vous voyez, sans qu'il y paraisse,
  Que nous n'avons rien invente.

  Mais, n'importe! En prenant la plume,
  Mon intention n'etait point
  De tant discourir sur ce point.
  N'y voyez aucune amertume,
  Si je l'ai fait, c'est qu'au moment
  De vous commencer mon histoire,
  Il m'est venu subitement
  Un scrupule, et voici comment:
  Si vous alliez ne pas y croire?
  Mes deux heros sont bien constants!
  Un amour que rien ne separe,
  Cela se voit de notre temps;
  Mais c'est un exemple bien rare
  A toute autre epoque. Et voila
  Pourquoi je disais tout cela.
  Car, ce que vous allez entendre,
  Il fallait bien vous l'expliquer,
  Et commencer par vous apprendre
  Que le temps dont je veux parler
  Ressemble au notre a s'y tromper.
  Des lors, ce que je vais conter
  N'a plus rien qui doive surprendre,
  Et je commence.


  II

                    Les savants,
  Qui font bailler de pauvres gens
  Et dessecher de pauvres roses,
  Passent pour savoir toutes choses.
  Eh bien! (jugez d'apres cela
  Du niveau de l'Academie)
  Je n'en sais pas un qui nous die
  Comment Leone se trouva
  Etre, a seize ans, la plus jolie
  Des danseuses de ce temps-la.
  Pauvre fille de comedie!
  Dont nul n'a raconte la vie,
  Et qui peut-etre ensorcela
  Plus d'un immortel qui l'oublie.

  Mais, au fond, cela n'y fait rien;
  Le fait n'en est que plus notoire;
  Et, quant a moi, l'on peut m'en croire
  Je ne suis pas historien.

  Or donc, mes belles demoiselles,
  S'il me faut faire le portrait
  De Leone, je vous dirai
  Que, si le bruit qui court est vrai,
  En la regardant les gazelles,
  Dont chacun vante les doux yeux,
  Se depitaient a qui mieux mieux
  De voir qu'une simple mortelle
  Eut ose s'en procurer deux
  Dessines d'apres leur modele.
  Avec ces yeux-la, vous pensez
  Que des cils bruns et retrousses
  Devaient aller le mieux du monde;
  Et les cheveux noirs abondants
  Montraient, sous leurs flots imprudents,
  L'oreille vierge de pendants.

  Ajoutez que, sans etre blonde,
  Elle avait, comme Ophelia,
  La paleur d'un camellia,
  Qu'elle etait petite et mutine,
  Avec de certains airs douteurs
  Et des sourires enchanteurs;
  Qu'elle avait la main blanche et fine,
  Le pied perdu dans la bottine,
  Et que sa levre de rubis,
  Constamment mouillee et vermeille
  Au milieu de ces tons palis,
  Rougissait comme une groseille
  Tombee au beau milieu d'un lis.

  Pour completer le paysage,
  Sachez encor que son corsage
  Renfermait une ame de prix.
  De plus, ainsi que c'est l'usage
  Dans les theatres de Paris,
  Etant jolie, elle etait sage.

  Ainsi fut et non autrement
  L'heroine de ce roman,
  Qui n'eut jamais qu'un seul amant.


  III

  Ce qui lui manquait, a vrai dire,
  Ce n'etait pas les amoureux;
  Vous savez qu'avec un sourire
  On en a plus qu'on n'en desire,
  Et son sourire en valait deux.
  Mais, bien qu'on fit queue a sa porte,
  Tous ceux qui lui faisaient la cour
  En etaient pour leurs frais d'amour.
  La chronique du temps rapporte
  Que Leone, en les egarant
  Avec son sourire enivrant,
  Les tenait tous au meme rang.

  Helas! la vertu d'une fille
  Est comme le pur diamant:
  L'acier s'emousse vainement
  Pour mordre le caillou qui brille;
  Rien ne l'entame. Seulement,
  S'il tombe, adieu le diamant!

  Quand on est vierge et qu'on est belle,
  Surtout a l'age de la belle,
  A l'amour on est peu rebelle.

  Vierge et danseuse! Par ma foi!
  C'etait un vrai gibier de roi.
  Et, chose rare et curieuse,
  Bien qu'elle eut, au gre de son coeur,
  A choisir plus d'un grand seigneur,
  Ce ne fut pas un bel acteur
  Qui rendit Leone amoureuse.

  Parmi tous les beaux jeunes gens
  Qui se faisaient les assiegeants
  De cette belle creature,
  Il en etait un qu'on nommait
  Patrice, et qui se renommait
  Par plus d'une etrange aventure.

  C'etait un charmant cavalier,
  Tres-digne d'avoir pour collier
  Les plus jolis bras de la terre;
  Et, comme il ne lui manquait rien,
  Le ciel, qui lui voulait du bien,
  Ne savait plus trop comment faire.

  Dieu, par un fait sans precedents,
  L'avait fait noble, en meme temps,
  De coeur, de race et de visage.
  Il pouvait avoir vingt-sept ans,
  Et, pour attendre le printemps,
  Il menait tres-grand equipage.

  En somme, c'etait un dandy;
  Mais, comme la chanson le dit,
  Il etait franc, fier et hardi.


  IV

  Mes cheres lectrices, j'hesite
  A continuer mon chemin;
  Si vous ne me tendez la main,
  Je n'irai jamais assez vite.

  Jugez un peu de mon ennui:
  Je veux peindre une belle nuit
  Et je ne sais comment la rendre,
  Car c'est un sujet bien use
  Dont tant d'auteurs ont abuse
  Qu'on ne sait plus comment s'y prendre.

  Certes, si j'etais ecrivain,
  Je ne chercherais pas en vain;
  La chose serait bientot faite.
  Je prendrais le premier poete
  Qui me tomberait sous la main
  Et je vous parlerais des voiles
  De la nuit, et puis des etoiles,
  Et puis du lac aux flots d'argent
  Ou se mire Phebe la blonde
  Qui se penche vers l'eau profonde,
  Et puis des bois, et puis du vent;
  Du rossignol dans la vallee,
  De la vieille tour isolee,
  Des etoiles d'or ou de feu,
  De l'herbe verte, du ciel bleu,
  Des bouleaux que la lune argente
  Et surtout, chose tres-urgente!
  Du poete a la Lyre d'or,
  Ame dans l'ideal ravie,
  Pleurant devant ce beau decor....
  Qu'il n'a jamais vu de sa vie.

  Car c'est un fait bien constate
  Que trois mille auteurs ont chante
  Juste la meme nuit d'ete
  Sans qu'elle ait jamais existe.
  Aussi, quel morceau bien traite!

  Dans le monde des elegies
  L'hiver est beaucoup moins gate;
  Epoque fraiche ou les genies,
  Pour reparer leurs insomnies,
  Ne perdent pas a rimailler
  Le temps qu'on doit a l'oreiller.
  Et le fait est, mesdemoiselles,
  Que dans notre calendrier
  Les nuits ne sont pas toujours belles
  Aux alentours de fevrier.
  C'est pourquoi je suis fort a plaindre,
  Car la nuit qu'il me faut depeindre
  Se trouve au plein coeur de janvier.

  Figurez-vous donc la nuit brune,
  Un vent tres-sec, un ciel tres-noir,
  Dans ce ciel pas la moindre lune:
  Un horizon a n'y rien voir.
  Le givre desseche la terre,
  La grande route solitaire
  S'allonge en ruban deroule.
  Sur la route deserte et blanche,
  Legere comme un char aile,
  Rapide comme une avalanche,
  Une berline au grand galop;
  L'hirondelle qui rase l'eau
  Va moins gaiment que ma berline
  Dont le postillon bien paye,
  C'est-a-dire bien eveille,
  Pour se donner meilleure mine,
  A tous les echos d'alentour
  Fait claquer son fouet, comme un sourd.

  Dans la berline est une fille,
  Au front tout rose de pudeur,
  Qu'un flot de fourrure entortille,
  Mourante d'amour ou de peur.
  Elle est dans les bras d'un jeune homme.
  Si vous croyez qu'ils font un somme,
  C'est que vous connaissez bien mal
  Le coeur humain en general.

  Les baisers volent sur la route!
  L'amour conduit les voyageurs!
  Pour la fillette je redoute
  Autre chose que les voleurs.
  Les chevaux vont comme le diable!
  La nuit est noire comme un four!
  Le voyage a l'air agreable....
  Hue! donc, beau postillon d'amour!

  Mais je ne sais a quoi je pense
  D'aller vous raconter cela.
  S'il en est temps encor: defense
  De lire ce chapitre-la!
  C'est une affaire scandaleuse
  Comme on n'en voit plus a Paris;
  Vous devez la trouver affreuse,
  Et je suis bien de votre avis.
  En verite, c'est une histoire
  Pleine d'une atrocite noire.

  Pourtant ce fut dans cet etat
  Qu'un beau soir Patrice emporta
  Son amante Leonita.


  V

  O vous, pour qui j'ecris ces lignes!
  --Et qui peut-etre les lirez,
  Bien qu'elles ne soient pas tres-dignes
  De l'honneur que vous leur ferez;--
  Vous, les belles filles de France,
  Vous, l'orgueil d'un ciel enchante,
  Vous, le sourire et l'esperance!
  Vous, la jeunesse et la beaute!
  O vous a qui sourit l'Aurore,
  A qui tous les bras sont ouverts,
  Qui ne connaissez pas encore
  Vos printemps d'avec vos hivers!

  Vous, les vierges! Vous, les charmeuses!
  Dont le coeur, peureux et hardi,
  A des langueurs mysterieuses
  Dans un corps jeune comme lui!
  Vous, pour qui la coupe est remplie
  Et qui vous sentez d'y gouter
  Presqu'autant de peur que d'envie!
  Vous qui faites aimer la vie
  Ou qui la faites redouter!

  Vous, pour qui les vieillards moroses
  Ont des regards pleins de regrets!
  Vous, pour qui les roses sont roses
  Et les bleuets bleus tout expres!
  Vous, pour qui chantent les poetes,
  Pour qui les etoiles sont faites
  Et brillent dans l'azur des soirs!
  Vous, pour qui les perles sont rondes!
  O vous, les brunes et les blondes!
  Vous, les yeux bleus et les yeux noirs!
  Si vous avez, par aventure,
  Daigne me suivre jusqu'ici,
  Laissez-la, je vous en conjure,
  Laissez-la ce triste recit
  Dont j'ai commence la peinture,
  Car un destin malencontreux
  Reserve a nos deux amoureux
  Un denoument des plus affreux.

  Adieu le reve! adieu l'ivresse!
  Adieu l'amour et la tendresse
  Et les frais soupirs eperdus!
  Adieu le bal et ses delires,
  Et les parfums et les sourires!
  Adieu tous les bonheurs perdus!

  Chevaux, postillon et berline
  Qui, sur le flanc de la colline,
  Descendiez si legerement,
  Vos grelots aux notes joyeuses,
  Durant les nuits silencieuses,
  N'effraieront plus l'echo dormant.

  Sur le grand chemin solitaire
  Vous n'ecaillerez plus la terre
  Que durcit le givre argentin.
  Tout ce passe que je souleve
  S'est evanoui comme un reve
  Aux premiers rayons du matin.

  O gaite! reste ensevelie.
  Mon ame est desormais emplie
  D'une sombre melancolie.

  Je suis si triste que vraiment
  Je ne sais plus du tout comment
  Je vais reprendre mon roman.
  Et, malgre mon regret sincere,
  Je commence a m'apercevoir
  Que le dramatique et le noir
  Ne sont pas du tout mon affaire.
  Mais puisque j'ai, sans m'en douter,
  Commence de vous raconter
  Une histoire des plus touchantes,
  Quoi qu'il puisse m'en advenir,
  Je vais tacher de la finir
  En vous priant d'etre indulgentes.
  Si vous aviez quelque amitie
  Pour le heros et l'heroine
  De ce roman tres-detaille,
  J'en appelle a votre pitie;
  Car leur bonheur s'est effeuille
  Ainsi qu'un bouquet d'eglantine.

  Ma plume hesite a retracer
  Le recit d'aussi tristes choses;
  Helas! quittez vos habits roses!
  Helas! vos beaux yeux vont pleurer.


  VI

  Donc, autrefois, c'etait l'usage:
  Pour peu qu'on se fut epouse
  Et que l'on fut civilise,
  Il fallait partir en voyage
  Le soir meme du mariage.
  On n'a jamais bien su comment
  Ni pourquoi vint cette methode;
  Mais sachez que c'etait la mode
  Et que vous-meme, assurement,
  N'eussiez pas fait differemment.
  Car, suivant un vieil axiome,
  La mode etait, dans le royaume,
  Aussi puissante que le roi;
  Et, pas plus tot la noce faite,
  On se fut fait couper la tete
  Plutot que de rester chez soi.
  Le depart etait une rage;
  On n'epousait pas sans partir.
  En raison de votre grand age,
  Vous devez vous en souvenir.

  Or, voyez si la destinee
  Est malignement enchainee;
  Un sourire amene des pleurs.
  Cette mode qui vous etonne
  Fut pour Patrice et pour Leone
  La source de tous les malheurs.

  A vous dire le vrai, je doute
  S'ils etaient maries ou non.
  Ils suivaient bien la meme route,
  Mais ce n'est pas une raison.
  Je n'ai vu ni monsieur le maire,
  Ni le cure, ni le notaire,
  Ni les voitures d'apparat,
  Ni le moindre bout de contrat,
  Ni tuteur, ni pere, ni mere,
  Ni parents, ni gens, ni temoins,
  Mais enfin j'ai vu les conjoints,
  Et, pour moi, je les considere
  Comme bien et dument unis,
  Maries, preches et benis
  Par tous les abbes de la terre.
  Dans tous les cas je crois qu'on peut
  Dire qu'il s'en fallait de peu,
  Car, des le soir, ils s'en allerent
  Et, huit jours apres, s'embarquerent,
  Ce qui, pour ce temps-la, dit-on,
  Etait le supreme bon ton.

  S'ils voulaient aller en Turquie,
  Ou dans l'ile de Borneo,
  Ou simplement en Italie,
  C'est ce que je ne sais pas trop.

  Ce que je sais, c'est qu'un navire
  Se perdit vers le lendemain,
  Qu'un pecheur (pas Napolitain,
  Mais c'est tout ce que j'en puis dire)
  Au bord du rivage trouva,
  Pale et blanche, Leonita,
  Comme une madone de cire.

  Elle etait sur le sable fin,
  Sous le gai soleil du matin
  Qui riait dans sa chevelure.
  La vague l'effleurait un peu,
  Comme une fille qui ne peut
  Abandonner une parure.

  L'eau verte et le soleil joyeux
  Melaient parmi ses longs cheveux
  Des reflets d'or et d'emeraude;
  Et les flots qui les deroulaient
  Jouaient avec et s'en allaient
  Comme des enfants pris en fraude.

  Un sourire presque efface,
  Dernier vestige du passe,
  Entr'ouvrait sa levre pudique,
  Et l'aurore qui rayonnait
  Sur son front palissant, formait
  Un contraste melancolique.
  Sachez pourtant, si vous l'aimez,
  Que ses beaux yeux inanimes
  N'etaient pas a jamais fermes.

  Leone revint a la vie.
  Le pecheur, pas Napolitain,
  Qui la trouva sur son chemin,
  Jugea qu'elle etait endormie.
  Ce fut lui qui fut son docteur,
  Et qui, chose assez inouie,
  Fut en meme temps son sauveur.
  Il la prit tout evanouie,
  L'emporta jusqu'en son reduit,
  Et, sans plus de ceremonie,
  Vous la coucha droit dans son lit.
  Puis il fallait voir le bonhomme,
  Par la chambre allant et venant.
  Et soignant Leone tout comme
  Si c'eut ete son propre enfant.

  Si bien qu'a la fin, o prodige!
  La belle fille ouvrit les yeux
  Et dit, en voyant ce bon vieux,
  Les mots sacramentels: "Ou suis-je?"

  Il la rassura de son mieux,
  Lui dit comme il l'avait trouvee
  Et combien il etait joyeux
  De penser qu'elle etait sauvee.
  Alors elle lui raconta
  Comment elle, Leonita,
  Et son "frere," et tout l'equipage
  Du navire avaient fait naufrage;
  Qu'elle et son "frere" avaient pense
  Se sauver ensemble a la nage
  Et qu'ils avaient bien commence;
  Mais qu'a la moitie du voyage
  Les vagues et l'obscurite
  Les firent changer de cote;
  Qu'alors elle s'etait perdue;
  Qu'elle etait enfin parvenue
  Jusqu'a cette plage, mais la,
  Tout ce qu'elle se rappela,
  C'est qu'elle perdit connaissance.
  Puis, comme elle s'inquietait
  De son "frere" qui lui manquait,
  Le bonhomme, comme l'on pense,
  Lui dit, pour la rasserener,
  Tout ce qu'il put imaginer
  De plus propre a la circonstance,
  Jurant ses grands dieux qu'on avait,
  Dans un port voisin, qu'il nommait,
  Fait le plus complet sauvetage
  Du navire et de l'equipage.
  Et, tout en lui contant cela,
  Pres de la belle il mit un plat,
  Puis un verre, puis une assiette,
  Et je crois meme une serviette.

  Leone avait l'esprit fort gai.
  Du moment qu'elle eut distingue
  Dans le discours sans queue ni tete
  Dont le brave homme lui fit fete,
  Que Patrice, de son cote,
  Etait lui-meme en surete,
  Cette charmante creature,
  Sans se desoler plus longtemps,
  Prit en riant son aventure.
  Et, comme elle avait dix-sept ans,
  Elle se mit, a belles dents,
  A devorer en conscience
  Le dejeuner que, sur son lit,
  L'excellent homme lui servit
  Dans ses assiettes de faience.

  Ce fut ainsi qu'un beau matin
  Leone mangea le festin
  D'un pecheur, pas Napolitain.


  VII

  Un mois plus tard elle etait nonne:
  Et la belle, au fond d'un couvent,
  Pleurait,--que Dieu le lui pardonne!
  Moins sa faute que son amant.

  Helas! helas! o destinee,
  A quoi bon l'avoir epargnee
  Pour lui rendre des jours amers?
  N'eut-il pas mieux valu pour elle,
  A travers la nuit eternelle,
  S'en aller morte au sein des mers?

  On n'avait sauve du naufrage
  Ni passagers, ni matelots;
  Victimes d'une nuit d'orage,
  Tous avaient peri dans les flots.
  Parmi ceux que la maree haute
  Vint jeter le long de la cote,
  L'oeil eteint et le front blemi,
  La pauvre fille n'eut pas meme
  La consolation supreme
  De reconnaitre son ami.
  C'est en vain qu'on chercha Patrice;
  La mer avait du l'engloutir,
  Car on ne put rien decouvrir
  Qui de sa mort fut un indice.

  Leone le pleura tres-fort.
  Je crois pourtant qu'on aurait tort
  De parier qu'elle etait veuve;
  Et moi, si j'etais esprit fort,
  Je ne croirais Patrice mort
  Que lorsque j'en aurais la preuve.

  Quoi qu'il en soit, a qui voudra,
  Le suivant chapitre apprendra
  Ce que tout ceci deviendra.


  VIII

  N'est-ce pas un spectacle etrange
  De voir deux pauvres amoureux
  Qui, lorsque pour eux tout s'arrange,
  Et des qu'ils devraient etre heureux,
  Se vont justement mettre en tete
  Qu'ils sont separes par la mort,
  Et se bornent, sans plus d'enquete,
  A maudire leur triste sort?

  La chose parait incroyable;
  Pourtant, vous l'avez devine,
  C'est la l'histoire lamentable
  De notre couple infortune:

  A dire la verite pure,
  Le heros de cette aventure
  N'etait pas mort dans les flots bleus,
  Ainsi que l'on se le figure;
  Mais il n'en valait guere mieux.

  Tandis que Leone est au cloitre,
  Ou sa douleur ne fait que croitre
  Et embellir, en quelques mots
  Je vais vous dire tous les maux
  Que dut endurer le jeune homme
  En trois mois d'un supplice affreux,
  Et par ainsi vous verrez comme
  Les voyages sont dangereux.

  Durant la nuit de ce naufrage
  Ou presque tous avaient peri,
  Comme Leone et son ami
  Tachaient de gagner le rivage
  Et se dirigeaient a la nage
  Par un chemin fort encombre
  Et surtout fort mal eclaire,
  On se souvient, sans aucun doute,
  Que Patrice fit fausse route.
  Il s'etait bientot egare;
  Si bien qu'au lever de l'aurore
  Le malheureux, n'en pouvant plus,
  Moitie mourant, moitie perclus,
  A peine respirant encore,
  Et sur le point de se noyer,
  Fut recueilli, sans connaissance,
  Par un pauvre petit voilier
  Qui longeait les cotes de France.
  O douloureux rapprochement!
  Cela se passait justement
  A l'heure ou, loin de son amant,
  La belle, ignorant son tourment,
  Dejeunait si mignonnement.

  Le jeune homme, en cette detresse,
  N'en fut point, comme sa maitresse,
  Quitte pour la peur; car il fit
  Une terrible maladie
  Qui pensa lui couter la vie
  Et le retint trois mois au lit.

  Sur ce brave petit navire
  Il fut soigne, tant bien que mal,
  Du mieux qu'on put. Le principal,
  C'est qu'il en revint. Mais le pire,
  Ce fut le changement moral
  Qui s'opera dans sa nature.
  On ne le vit, dans ces trois mois,
  Pas sourire une seule fois,
  Et cette funeste aventure,
  Apres meme qu'il fut gueri,
  Paraissait, a ce qu'on assure,
  L'avoir pour toujours assombri.
  Il revenait; mais ses idees
  Etaient visiblement changees,
  Et, de plus, le pauvre garcon
  Crut si bien sa maitresse morte
  Qu'il ne tint en aucune sorte
  A s'en faire apprendre plus long.
  Bref, Patrice, a bout d'esperance,
  Le corps vaincu par la souffrance,
  Pleurant son reve inacheve,
  Aussitot de retour en France,
  S'en fut tout droit se faire abbe.
  Vous me direz: "C'est mal tombe!"
  Mais que voulez-vous qu'on y fusse?
  Les faits sont la que rien n'efface:
  C'est tantot pile et tantot face.

  Ce qui m'afflige, c'est de voir
  Comme ce roman tourne au noir.
  Le malheur est de la partie;
  On se demande, en verite,
  Quelle facheuse sympathie
  Put donner a chaque partie
  D'une union bien assortie
  Ce penchant pour la sacristie:
  C'est comme une fatalite.

  Mais souffrez que je continue,
  Et bientot la verite nue
  Jusqu'au bout vous sera connue.


  IX

  Voila donc nos deux etourdis
  Perdus, comme on disait jadis,
  Sur le chemin du Paradis.

  Un jour vint qu'ils se rencontrerent,
  Mais ce ne fut qu'apres longtemps!
  --Donc, au bout de cinq ou six ans
  Voici comme ils se retrouverent:

  Tandis que Leone au couvent,
  Moitie priant, moitie revant,
  Pleurait comme une Madeleine,
  Il arriva que son amant,
  Bien qu'il fut aussi fort en peine,
  Oublia tres-devotement
  Et sa maitresse et son tourment.

  Je ne vais pas, comme on peut croire,
  Tacher d'excuser a vos yeux
  Ce que peut avoir d'odieux
  Une ingratitude aussi noire.
  Que suis-je? un pauvre historien
  Qui raconte, et n'invente rien.

  Donc, si ce jeune homme est coupable,
  Ma lectrice pensera bien
  Que je n'en suis pas responsable,
  Et que sa conduite sans nom
  M'indigne autant que de raison.

  Patrice etait pourtant sincere;
  Si rien ne l'eut desespere,
  Jamais il n'eut ete cure.
  Mais enfin, qu'y pouvons-nous faire?
  Son grand desespoir fut l'affaire
  De six mois.

              Le pauvre garcon,
  C'est une justice a lui rendre,
  Des qu'il fut en religion,
  Sans vouloir d'abord rien entendre,
  Maigrit de la belle facon.
  Sans dormir du soir a l'aurore,
  Sans parler de l'aurore au soir,
  Tout defrise, broyant du noir,
  Mangeant peu, buvant moins encore,
  C'etait pitie que de le voir.

  Et c'est justement la le diable:
  Un jeune abbe si languissant
  Avait trop l'air inconsolable
  Pour ne pas etre interessant.
  D'autant que, si l'on considere
  Que Patrice fut, en naissant,
  Marquis de par ses pere et mere,
  Et qu'il avait sans contredit
  Le pied mince, la mine fiere,
  De la fortune et de l'esprit:
  On conviendra sans trop de peine
  Qu'il lui fallait, quoi qu'il advint,
  Faire tres-vite son chemin
  Dans la sainte Eglise romaine.

  Pour commencer, il eut l'honneur
  D'etre invite chez monseigneur,
  Lequel etait un charmant homme
  Qui le prit en affection,
  Lui donna sa protection
  Et, des ce jour, le traita comme
  Il eut fait d'un fils. En un mot,
  Grace a lui, notre ami Patrice
  Fut fait pretre beaucoup plus tot
  Que ne l'est un simple novice.
  C'est alors que l'ambition,
  Sans etre encore la plus forte,
  Lentement, par gradation,
  Fit sa petite invasion.
  Dans son coeur, de si belle sorte
  Que sa tres-chere passion
  En fut sans bruit mise a la porte.
  Bref, apres un an ecoule,
  Ce pauvre amant si desole
  Semblait a peu pres console.

  Toutefois je n'oserais dire
  Qu'il n'eut point garde dans son coeur
  Le souvenir de sa douleur:
  Car, meme a travers son sourire,
  Son visage avait conserve
  Je ne sais quoi d'un peu voile,
  Signe d'une douleur profonde,
  Qui lui seyait le mieux du monde.

  Vous remarquerez en passant,
  Mesdemoiselles, je vous prie,
  Qu'avec cet air interessant
  Ce garcon, malgre son envie,
  Ne pouvait pas faire autrement
  Que d'avoir de l'avancement.


  X

  Or, un certain jour que Patrice,
  --Patricius en bon latin,--
  Avait justement le matin
  Appris, au sortir de l'office,
  Que l'on devait, le lendemain,
  Le nommer eveque romain,
  Il arriva que la nouvelle
  De ce rapide avenement
  Fit une sensation telle
  Que ce fut un evenement
  Jusqu'au fond du cloitre ou Leone,
  Fidele comme au premier jour,
  Priait le Christ et la Madone
  De la guerir de son amour.

  A cette nouvelle imprevue,
  Vous pouvez vous imaginer
  A quel point elle fut emue
  Et ce qu'elle dut eprouver.

  D'abord, sans force et sans courage
  Devant ce fait presque inoui,
  La pauvre enfant s'evanouit
  Pour etre en regle avec l'usage,
  Mais, au bout de quelques instants,
  Lorsqu'elle eut repris connaissance,
  Oubliant toute obeissance
  Et sans attendre plus longtemps,
  Tremblante et pourtant decidee,
  Les yeux baisses, le coeur battant,
  Elle sortit de son couvent
  Par une porte derobee;
  A pas furtifs et n'emportant
  Qu'un petit miroir avec elle;
  Et tandis qu'elle trottinait,
  Tout le long du chemin, la belle
  Furtivement s'y regardait
  Pour voir si celui qu'elle aimait.
  Allait encor la trouver belle.

  Ce point-la, seul, l'inquietait.
  Or, a cette epoque, Leone
  N'avait pas encor vingt-trois ans,
  Et l'on sait que, pour bien des gens,
  C'est le bel age d'une nonne.
  Mais, que l'on pense ou non comme eux,
  C'est ainsi que notre amoureuse
  S'en vint, palpitante et peureuse,
  Chez monseigneur son amoureux.

  Lequel, il faut bien qu'on le dise,
  Pour se donner avant la prise
  Un avant-gout fort delicat
  Des plaisirs de l'episcopat,
  Avec un serieux d'eglise,
  Etait en train, pour le moment,
  De s'admirer complaisamment
  Devant un miroir de Venise
  Et posait comme il le fallait,
  Du talon jusques au collet,
  Dans un bel habit violet.


  XI

  J'affirme, de memoire d'homme,
  Que jamais miracle accompli
  N'etonna creature comme
  Sut etre etonne notre ami,
  Quand, pareille au lys qui frisonne,
  Sous son voile, dont chaque pli
  Tremblait sur sa blanche personne,
  Il vit apparaitre Leone.
  Le fait est, sans plus d'embarras,
  Qu'ils se jeterent dans les bras
  L'un de l'autre, et qu'ils s'embrasserent
  De bon coeur, et recommencerent
  Tant et si bien que l'eveche
  Lui-meme en eut ete touche.


  XII

  On se retrouve, on rit, on pleure.
  On s'aime et le reste n'est rien;
  C'est charmant. Bref tout alla bien
  Pendant pres d'une demi-heure.

  Mais, une fois l'emotion
  Du premier moment apaisee,
  Quand la froide reflexion
  Vint, avec sa morale usee,
  Se representer a l'esprit
  Du futur prelat, il se dit
  Qu'il avait fait une folie;
  Et je crois qu'il s'en repentit.

  Quoique Leone fut palie,
  Elle etait encor bien jolie
  Et Patrice en eut ete fou;
  Mais l'eveche, quand on y pense,
  A bien aussi son importance,
  Et Patrice y tenait beaucoup.

  Lors il s'etablit une lutte
  Entre sa raison et son coeur,
  Et le jeune homme fut reveur
  Pendant une bonne minute.

  Mais son parti fut bientot pris,
  Et, bien qu'il fut encore epris,
  L'eveche lui parut sans prix.

  Aussi devint-il inflexible.
  Et, quand la malheureuse enfant
  Ne pouvant le croire insensible,
  Le suppliait en etouffant,
  A travers sa paleur mortelle,
  Avec ses beaux yeux languissants
  Et sa voix aux sons caressants,
  De partir encore avec elle:

  "--Ma chere, je reflechirai,
  Lui dit Patrice, et je verrai
  Lorsqu'archeveque je serai."

  Devant un semblable langage,
  Voyant son bonheur s'ecrouler,
  Leone sentit s'en aller
  Tout ce qu'elle avait de courage.
  Et, par un changement subit,
  Grave et muette, elle sortit
  L'oeil sombre, la demarche lente;
  Si bien qu'en la voyant ainsi
  Dechevelee et chancelante,
  Son amant, un peu tard, helas!
  Lui courut apres dans l'allee.

  Mais, l'ayant en vain rappelee,
  Pensif, il revint sur ses pas;
  Car elle ne l'entendit pas,
  Tellement elle etait troublee.

  Elle rentra dans son couvent
  Par la meme petite porte
  Qu'elle avait franchie en revant
  Quelques heures auparavant.
  Mais la secousse etait trop forte,
  Et ses soeurs ne la virent plus;
  Car, a l'heure de l'Angelus,
  Le soir meme on la trouva morte.

  Patrice, en apprenant cela,
  Se dit: "Le bonheur etait la!"
  Et derechef se desola.


  XIII

  Quelle apparence recueillie
  Offre a l'oeil ce parc tenebreux!
  A voir ces vieux troncs vigoureux,
  On sent bien la melancolie
  D'une antique foret vieillie
  Dans le voisinage sacre
  D'un vaste et puissant prieure.

  Ces bois ont un parfum mystique.
  La vieille cloche au bruit d'airain
  Y trouve un echo sympathique,
  Et, ce lieu desert est empreint
  D'une tristesse monastique.
  Ces pins droits et silencieux
  Disposent a la reverie.
  Leur ombrage est sombre et pieux,
  Comme pour dire: "Ici l'on prie."
  Et les grands tilleuls tortueux
  Ont, dans leur air majestueux,
  Je ne sais quoi de vertueux,
  De respectable et d'immobile
  Qui donne a ce sejour tranquille
  La solennite des saints lieux.
  On dirait des religieux
  Revant au neant de la vie.
  Ce bois triste et mysterieux,
  C'est le jardin de l'abbaye.

  Rien n'est change dans le couvent.
  Les arbres sont verts comme avant,
  Et les nonnes du monastere,
  Ainsi qu'autrefois, vers le soir,
  Viennent promener et s'asseoir
  Sous leur ombrage solitaire.

  Pourtant, derriere ce decor,
  Est un jardin plus sombre encor,
  Ou jamais la fraiche eglantine
  N'accroche, le long des sentiers,
  Aux branches des verts noisetiers
  Sa tige odorante et mutine.

  La, de vieux arbres en lambeaux
  Protegent les pales tombeaux
  Contre le vent et la froidure;
  Ce sont des ifs et des cypres.
  La riviere qui passe aupres
  Reflete leur sombre verdure.

  La, dans un eternel sommeil,
  Dort plus d'un front jeune et vermeil,
  Plus d'une par la mort blemie.
  Sous un pin au feuillage epais,
  Dans le silence et dans la paix,
  C'est la qu'est Leone endormie.

  Elle dort. Le temps passera,
  Et toujours elle dormira
  Sous la pierre, immobile et douce,
  Et de sa divine beaute,
  Helas! helas! rien n'est reste
  Qu'une tombe ou verdit la mousse.

  Ce marbre, ou nul ne doit venir,
  Gardera seul le souvenir
  De cette figure angelique.
  Et seul, dans les tristes echos,
  Le vent bercera son repos
  D'une plainte melancolique.

  Ainsi fut, et non autrement,
  L'heroine de ce roman,
  Qui n'ont jamais qu'un seul amant.

  Et depuis lors le jeune eveque,
  En proie au chagrin le plus noir,
  Par amour devint ... archeveque,
  Et cardinal ... de desespoir.


  XIV

  Vous qui, d'une mignonne main,
  Feuilletez ces pages legeres,
  Et qui les oublirez demain,

  O vous, lectrices passageres,
  Dont la joue au sang de carmin
  N'a point de roses mensongeres;
  Si jamais vous avez pleure,
  Si jamais vous avez aime,
  Si jamais vous avez reve:
  Parfois, dans la triste soiree,
  A l'heure ou la lune eploree,
  Viendra, par la vitre nacree,
  Pencher sur nous son front tremblant,
  Plaignez la nonne en voile blanc
  Par la mort tout ensommeillee,
  Qui repose au sein de l'oubli,
  La-bas, parmi l'herbe mouillee,
  Printemps celeste, enseveli
  Sous la campagne defeuillee.

  Le monde est un juge banal;
  On trouve, en ouvrant un journal,
  Des nouvelles du cardinal.
  Mais Leone? qui parle d'elle?
  C'est pourtant un rare modele
  Qu'une amante a jamais fidele.


  1865.




PREMIERES LARMES


  J'admire ces etoiles lentes;
  J'y vois meme, en revant un peu,
  Comme des gouttes d'or tremblantes
  D'un ton divin sur un fond bleu.

  J'ecoute avec charme, o nature!
  Qu'est-ce donc qu'un coeur d'amoureux?
  Ce bruit de cailloux, quand murmure
  La source au fond du ravin creux;

  Quand la brise, sur la montagne,
  Soupire en inclinant les fleurs:
  Et me voila, par la campagne,
  Dieu me pardonne, tout en pleurs!

  Je crois meme, quelle folie!
  Qu'un rossignol ou qu'un pinson
  Me rend plein de melancolie.
  Las! qui me rendra ma raison?

  D'ou vient, j'ose a peine le dire,
  Que je me suis, seul dans les bois,
  Surpris quatre fois a sourire
  Quand je pleurais tout a la fois?

  Est-ce l'amour? Sans m'y connaitre,
  Je le crois quand je pense a vous.
  Mais, non; l'amour ne doit pas etre
  Si cruel, helas, ni si doux!


  1856.




L'AUTOMNE


  Septembre finissait: deja le vent d'automne
  Du printemps, dans les bois, effeuillait la couronne.
  Les monts, dores encor des reflets du soleil,
  Se mouraient sous ses feux. Chaque arbre a son reveil,
  Voyait le sol jonche de ses feuilles fletries,
  Brillantes de rosee et par le froid meurtries.
  Comme un rideau de gaze, une faible vapeur
  Jetait sur la vallee un voile de langueur;
  De quelques pauvres toits, en spirale dormante,
  S'elevait lentement une trace fumante,
  Tandis que le soleil, a l'horizon lointain,
  Rougissait les coteaux d'un rayon incertain.

  En longs fremissements les brises murmurantes
  De l'automne apportaient les senteurs enivrantes
  Et soupiraient ces chants qui font rever d'amour,
  Errants dans les echos sur le soir d'un beau jour.
  Et la nature alors chantait comme en un reve
  Le silence et l'amour, l'ombre et tout ce qui reve,
  Puis semblait, languissante ainsi que la beaute,
  Mourir dans sa splendeur et sa serenite.


  Octobre 1857.




MA FOLIE


  Moi, j'ai fait ma folie
  D'une fille aux yeux bleus.
  Le moindre de ses voeux
  Dispose de ma vie.

  Et jusqu'a son depit,
  Jusques a ses pleurs meme,
  Tout en elle je l'aime,
  Et pourtant elle en rit.

  Et pourtant, si ma bouche
  S'egare sur sou cou,
  Elle m'appelle fou,
  La folle, et s'effarouche.

  Et je suis furieux!
  Car elle est si jolie
  Que j'aime a la folie
  Cette fille aux yeux bleus.


  Paris, Mai 1858.




A MARIE


  En promenant, vous souvient-il, Marie,
  Vous me donniez votre petit bras blanc
  Que je serrais parfois, tout en causant?
  Vous palissiez malgre vous, ma cherie,
  Et votre voix tremblait en me parlant.

  Je vous aimais, Mariette, et pourtant
  N'en disais rien, mais je mourais d'envie
  De vous conter mon secret, par moment,
                 En promenant.

  Mais vous partez; quand on part, on oublie.
  Vous allez donc vous marier, vraiment?
  Parfois, la-bas, si votre coeur s'ennuie,
  --Vos grands yeux bleus sont si doux en revant!--
  Songez a moi du fond de l'Algerie,
                En promenant.


  Toulon, Juin 1858.




RHODINA


  Fille de Lesbos, vierge aux tresses blondes,
  Nymphe aupres de qui palirait Venus,
  Fleur du Sunium, dont de chastes ondes
  Au soleil jadis baignaient les pieds nus!

  Comme sur la mer, la mer fremissante
  Poursuit le sillon d'un fuyant esquif,
  Sur le sable fin l'onde caressante
  A-t-elle efface ton pas fugitif?

  Blanche Rhodina, ma deesse antique,
  Si chez les mortels, par faveur des dieux,
  Tes charmes divins, dans leur grace attique,
  Daignaient un beau soir descendre des cieux,

  Si tu revenais, ravissante et telle
  Que Clephas te vit, un jour de peche,
  Je voudrais t'aimer d'amour immortelle
  A rendre jalouse Helene ou Psyche!

  Car parmi tes soeurs au chaste sourire
  Dont je vois s'enfuir dans les bois ombreux
  Le pas, cadence comme un chant de lyre,
  Toi seule es la reine aux yeux amoureux.

  Et tu m'aimerais, ma pudique amante,
  Tout en restant nymphe et divinite:
  Comme ton sein nu sa pudeur charmante,
  O reine, l'amour a sa chastete.


  Passy, Aout 1858.




A L'HOTELLERIE

--SOUVENIR DE MUSSET--


  I

  Il est des jours, Dieu me pardonne!
        Ou, sans mentir,
  Je sauterais de la Colonne
        Pour en finir.

  D'ou vient cette melancolie?
        Voyons un peu:
  Suis-je en veine de poesie?
        Mais non, par Dieu!

  Est-ce un de ces spleens qu'on eprouve
        Quand, par moment,
  Votre etourdi de coeur se trouve
        Seul en aimant?

  Suis-je dans mes jours de tristesse?
        Ai-je un tresor
  Cache dont le souci m'oppresse?
        Ou bien encor

  La province me semble-t-elle
        Bete a ce point
  Qu'il n'est rien qu'on puisse chez elle
        Trouver a point?

  La connaissez-vous, la province?
        Pour aujourd'hui,
  Helas! j'y baille comme un prince
        Mourant d'ennui.

  Lyon! dire qu'on y demeure!
        Sejour mortel!
  Si je couche ici, que je meure
        Dans cet hotel!

  Par hasard, est-ce que vous etes
        De mon avis,
  Que rien, meme en ses jours de fetes,
        Ne vaut Paris?

  Car Paris! ah! mademoiselle,
        C'est la qu'on vit;
  C'est la que la femme est fidele,
        A ce qu'on dit.

  C'est la que l'Amour vend ses pommes
        Et mille riens,
  Et c'est le pays des grands hommes
        Et des vauriens.

  Ah! c'est beau, Paris! Pour les femmes,
        Quel paradis,
  Et quel purgatoire, o mesdames,
        Pour les maris!

  Ces pauvres gens ... mais je m'arrete;
        Car, Dieu merci!
  Pas plus que vous ne m'inquiete
        Un tel souci!

  Mon avis, puisque la franchise
        Est de saison,
  Est que vous avez, quoi qu'on dise,
        Toujours raison;

  D'abord parce que, dans la vie,
        Autant qu'on peut,
  Je trouve qu'il faut suivre un peu
        Sa fantaisie;

  Et puis, vous savez bien, Ninon,
        Vous que j'implore,
  Que, tout ce que vous trouvez bon,
        Moi je l'adore.

  Et je le dis sincerement,
        Chacun avoue,
  Femmes, que le bon Dieu vous doue
        Tres-joliment.

  Et qu'il n'est pas un homme au monde
        Qui vaille enfin
  La moindre fille, brune ou blonde.
        C'est bien certain.


  II

  Pour en revenir au malaise
        De mon esprit,
  Nous parlions de ce qui me pese
        Et m'assombrit:

  Non! ce n'est ni la Poesie
        Au front reveur,
  Engendrant la melancolie
        Dans tout le coeur;

  Ni le spleen qui baille et qui baille,
        Le spleen maudit
  Triste et plat comme une muraille
        Qu'on reblanchit;

  Ni rien des malheurs de la vie,
        Petits ou grands,
  Qui passent et que l'on oublie
        Avec le temps.

  Mais alors, d'ou vient que mon ame
        Voit tout en noir?
  Que mon coeur palpite, sans flamme
        Et sans espoir?

  Quel est donc ce malaise etrange
        Qui m'engourdit?
  Est-ce mon diable ou mon bon ange
        Qui m'affadit?

  Je crois que j'aimais ma maitresse,
        Sans m'en douter;
  Et que je suis plein de tristesse
        De la quitter.

  Suis-je donc un amant fidele?
        Car, en un mot,
  J'ai dans l'ame une peur mortelle
        De l'aimer trop.

  Je laisse, helas! tout ce que j'aime
        Derriere moi;
  Si je pleure au fond de moi-meme,
        Voila pourquoi.

  Je sens que mon coeur se reveille,
        Espoir decu!
  Quand je le crois mort, il sommeille
        A mon insu.

  Nous avons beau faire, notre ame
        Subsiste en nous
  Et brule, etincelle sans flamme,
        D'un feu plus doux.

  Cette etincelle est notre vie,
        Joie ou malheur;
  Sa lueur, ardente ou palie,
        Jamais ne meurt.

  C'est la mysterieuse chaine
        Qui nous unit
  A tout ce que notre ame en peine
        Aime et benit;

  C'est l'amour qui tue ou fait vivre;
        C'est notre sort;
  C'est l'etoile qu'il nous faut suivre
        Apres la mort.

  Dieu l'a dit, et la destinee
        Suit son chemin
  Comme une ennemie acharnee
        Du genre humain.

  Je marchais, croyant pour la vie,
        Mon coeur brise,
  Et voila que ce coeur me crie:
        "Tu t'es trompe!"

  Mes amis, ma mere et mon pere,
        Je vous aimais.
  J'aimais ma maitresse, ah! misere!
        Plus que jamais.

  Ah! si c'est bien toi qui dechaines
        Charmes et peines!
  S'il est vrai que, toujours, demain
        Soit dans ta main!

  Mon Dieu, si nos blessures meme
        Viennent de toi!
  Si mon cri n'etait qu'un blaspheme,
        Pardonne-moi.


  1858.




LA ROSE


  O ma pauvre rose effeuillee,
  Charme, regret, parfum, tresor,
  Toi que ses levres ont mouillee,
  O fleur, parle-moi d'elle encor.

  C'est dans un bal que je l'ai vue,
  Blanche avec des levres de feu.
  Une douce flamme ingenue
  Brillait dans son profond oeil bleu.
  C'etait, je crois, la nuit derniere
  Que je la vis pour en mourir.

  Il n'est point de pire misere,
  Et pourtant ma douleur m'est chere
  Et cher aussi son souvenir.


  II

  La Valse a d'etranges ivresses;
  Je sentais a chaque detour
  Ses beaux bras aux molles caresses
  Qui me chargeaient de morbidesses
  Toutes ruisselantes d'amour.
  --Elle est blanche, sa chevelure
  L'eclaire comme un cadre d'or
  Eclaire une miniature.
  L'etoile tremblante qui dort
  Aux cieux ou sa clarte s'azure,
  Brille d'un moins pur diamant
  Que ne brillait son front charmant
  Pendant cette nuit de feerie.

  Helas! Tout s'est enfui, pourtant!
  Mais de ma vision cherie
  Il me reste la fleur fletrie
  Qu'elle a perdue en me quittant.

  O douceur! o melancolie!
  Adieu, fleur desormais palie!
  L'amour est ce bel oiseau bleu
  Leger comme un songe frivole,
  Qui nous caresse, et puis s'envole.
  En battant des ailes, vers Dieu!


  Paris, Novembre 1859.




RENCONTRE


  Je le croyais pourtant bien mort, mon pauvre amour.
  Et rien que pour la voir aujourd'hui, dans la rue,
  Le voila revenu, brulant, comme a sa vue
          Il me prit un beau jour.

  Mais alors il etait doux et plein d'esperance
  Comme un rayon de lune adorable qui luit,
  Quand la tempete souffle et que le vent balance
          Les arbres dans la nuit.

  Et je l'avais beni, lui si plein de promesses,
  Me bercant a son chant....--Beaux reves enchanteurs!--
  Helas! pourquoi faut-il que toutes nos tendresses
         Nous coutent tant de pleurs?

  Certes! j'aurais jure de l'avoir oubliee,
  Elle qui m'a tant fait souffrir quand je l'aimais,
  Et voila que ma plaie a peine refermee
         Saigne plus que jamais!


  Passy, Mai 1860.




A MADAME L***


  C'est amusant, a deux, de courir dans les bois,
  Et de rever le soir au frais des grands ombrages.
  En parlant a voix basse errer sous les feuillages,
  N'est-ce pas un bonheur a faire envie aux rois?

  Cependant un boudoir, lorsque de petits doigts
  Vous en ouvrent la porte, a bien ses avantages,
  Qui partout ont semble divins, meme aux plus sages.
  C'est mon avis, et c'est le votre aussi, je crois.

  On dit meme, est-ce vrai? qu'une bonne voiture
  Quand les coussins sont doux, moins pourtant que les yeux
  De celle qui l'occupe, est chose qui s'endure.

  Un seul point me surprend: ces mots mysterieux
  Que le coeur seul entend, que la bouche murmure,
  Oh! comme on les oublie apres un an ou deux!


  Passy, Juin 1860




ADIEU, NINON


      Depuis longtemps,
  Trop longtemps, je soupire.
      Il est grand temps
  Aujourd'hui de me dire
      Si vous voulez
  Jouer avec ma flamme.
      Parlez, madame,
  Mais vous me le paierez.

      Allons, mon coeur,
  Et cachez, je vous prie,
      Cet air moqueur
  Qui vous rend moins jolie.
      Quoi! vous osez
  Rire de mon attente?
      Riez, mechante,
  Mais vous me le paierez.

      Helas! pourquoi
  Faut-il que je vous aime,
      Fille au coeur froid,
  Qui n'aimez que vous-meme?
      Vous souriez?
  Ma peine est bien etrange,
      Allez, mon ange,
  Mais vous me le paierez.

      Pourquoi tantot
  Votre voix si rieuse,
      Au piano
  Etait-elle reveuse?
      Vous le savez,
  Cela vous rend plus belle.
      Chantez, cruelle,
  Mais vous me le paierez.

      Melant nos pas
  Dans un meme dedale,
      Quand dans mes bras
  La Valse vous rend pale,
      Vous ne songez,
  Vous, qu'a votre toilette.
      Dansez, coquette,
  Mais vous me le paierez.

      Mais quel courroux!
  Vous aurais-je blessee?
      Quels yeux moins doux!
  Quelle moue offensee!
      Vous vous fachez?
  Vous etes en colere?
      Boudez, ma chere,
  Mais vous me le paierez.

      Adieu, Ninon.
  Eh bien! quel est ce geste?
      Qu'avez-vous donc?
  Voulez-vous que je reste?
      Ciel! vous pleurez
  Votre main me rappelle....
      Pleurez, ma belle,
  Mes maux sont trop payes.


  Passy, Aout 1860.




DANS LA FORET


  Bois ou l'Automne se courrouce,
  Et, dans les sentiers gracieux
  Etend sa rouille sur la mousse!
  Brises dont la plainte est si douce
  Qu'elle semble venir des cieux!

  Sombres ecueils! roches antiques!
  Vous qui bravez les oceans!
  Vous que les vagues atlantiques
  Ont, dans leurs fureurs fantastiques,
  Decoupes en profils geants!

  Et vous, cieux ou l'aube etincelle,
  A l'heure ou la lune s'endort,
  Dites-moi s'il est, brune ou blonde,
  Une belle plus belle au monde
  Que ma maitresse aux cheveux d'or?


  Etretat, Decembre 1860.




MESSAGE


  Allez vers elle, fleurs cheries,
  Allez, et ne trahissez pas
  Ces mots que dans mes reveries
    Ma bouche dit tout bas.

  Ne lui dites pas, indiscretes,
  Combien de desirs insenses
  Cachent sous mes regards glaces
    Leurs flammes inquietes.

  Ne lui dites pas qu'en tous lieux
  Mon coeur la suit a tire-d'aile,
  Que les rayons de ses grands yeux
    Me font fremir pres d'elle;

  Cachez-lui qu'un mot de sa voix
  Trouble mon oreille ravie,
  Et que je donnerais ma vie
    Pour mourir sous ses lois.

  Qu'elle ignore, la grande dame,
  Que je l'aime au point d'en mourir,
  Quand ma bouche, etouffant mon ame,
    Froidement sait mentir;

  Lorsque dans sa chambre ou, sans cause,
  Je deviens timide et tremblant,
  Tous deux, d'un ton indifferent,
    Nous parlons d'autre chose.

  Quand elle fait, par ses accents,
  Sur la scene ou chacun l'admire,
  Haleter la foule en suspens
    Par son divin sourire,

  Dans un coin, pensif, inconnu,
  Qu'elle ignore, la grande artiste,
  Combien celui-la seul est triste
    Qu'un beau reve a perdu!

  Ne lui dites pas que je l'aime,
  Ni combien il m'en a coute
  Pour comprimer mon coeur blesse
    Qui criait en moi-meme!

  Ne lui dites pas que je meurs
  Et que c'est elle qui me tue,
  N'ayant pas soupconne mes pleurs
    Dans mon ame eperdue.

  Pourquoi faut-il l'avoir connue,
  Puisque j'en devais tant souffrir?
  N'eut-il pas mieux valu mourir
    Avant de l'avoir vue?

  Maudit soit le jour ou mes yeux
  Ont vu ces traits si pleins de charmes,
  Puisqu'inutiles sont mes voeux
    Et vaines mes alarmes!

  Gardez bien mon triste secret;
  Si vous lui parliez de ma peine,
  Qui sait, avec son air de reine,
    Ce qu'elle en penserait?


  Paris, Janvier 1860.




A MA MERE


  Ou sont-ils, mes chagrins d'enfant,
  Grandes peines vite oubliees,
  Aux larmes si vite essuyees
  Que je riais en meme temps?

  Comme elles sont loin, les soirees
  Que nous passions en attendant
  Mon pere! O mes heures dorees!
  Tu disais: "Quand tu seras grand!..."

  J'ai grandi. Le temps d'un coup d'aile
  Jette au vent bien des reves d'or:
  J'ai souffert et je souffre encor.

  Mais j'ai dans mon ame immortelle
  Senti que Dieu me laisse encor
  Ma mere, et que j'ai tout en elle.


  Paris, Fevrier 1861.




A MA MERE


  Un an passe, mere, qu'un beau matin,
  Enfant par l'age et vieux par la tristesse,
  Malade, use, las de vivre sans cesse
  Et de trouver l'ennui sur mon chemin,

  En souriant a mon nouveau destin,
  Je vins ici chercher dans ta tendresse
  Pour mon coeur froid la chaleur de ta main,
  Dans ton amour l'abri de ma faiblesse;
  C'est pres de toi, pour la premiere fois,
  Que j'ai connu la douceur de sa voix,
  Que le bonheur a passe sur ma route.

  Je vais partir. Qu'importe? j'ai vecu.
  Qu'il soit beni, malgre ce qu'il en coute
  Pour le pleurer apres l'avoir perdu!


  Alger, 5 fevrier 1862.




A MON AMI PAUL E.. G..


  Paul, as-tu quelquefois, dans tes jours de tristesse,
  Senti passer en toi quelque gai souvenir?
  Et n'as-tu pas alors, a travers ta detresse,
  Songe combien le charme en est doux a sentir?

  Moi j'y pensais ce soir, laissant mon feu mourir;
  J'errais dans ce passe qui me revient sans cesse.
  Je songeais qu'il est loin, et, sans qu'il y paraisse,
  Que voila plus d'un an que tu m'as vu partir.

  Puis je revais encore, et dans la cheminee
  Suivant des yeux la buche a demi consumee,
  Je comparais ma vie a ce feu palissant.

  Et je songeais, mon cher, a notre douce vie,
  A ce qu'un souvenir a de melancolie,
  Et qu'il est doux aussi de vieillir en s'aimant.


  Alger, mardi soir, 25 fevrier 1862.




A MADAME V***


  Puisqu'il vous faut six mois pour etre mon amie,
  Avez-vous bien songe, quand vous me les disiez,
  A ce que ces deux mots ont de melancolie
  Et de douceur aussi? Tandis que vous parliez,

  Il me semblait a moi que c'est une folie
  Et que pour la prevoir, quoi que vous en pensiez,
  Il faut que l'amitie soit un peu ressentie,
  Et, meme a votre insu, que vous en eprouviez.

  Laissez-moi l'esperer; car apres tout, madame,
  S'il n'en est rien, ces vers que vous me demandiez,
  Je voudrais bien savoir ce que vous en feriez.

  Mais six mois! Jusque-la que faire de mon ame?
  Ah! songez que mes maux seraient tous oublies
  Et mes chagrins finis demain, si vous vouliez!


  Alger, Mars 1862.




  A MADAME A***

  --ENVOI DE _ROSINE ET ROSETTE_--


  Ce conte fut ecrit sous un climat dore
  Ou nous avons vecu dans un site adore,
                Pres de ma mere;
  Ou vous m'avez soigne comme elle, de longs jours,
  Adoucissant pour moi le mal, qui fait toujours
                La vie amere;

  Ou vous m'avez gueri, toutes deux de moitie,
  Ou mon ame vivait, dans sa double amitie
                Tout endormie;
  Ou d'etre aime deux fois j'ai senti la douceur,
  Car elle etait ma mere, et vous etiez ma soeur
                Et mon amie.

  Et maintenant, le reve adorable me suit.
  Je revois ce rivage ou l'on entend, la nuit,
                Gemir la lame,

  Et j'ecoute pleurer, comme un chant qui s'emeut,
  Le souvenir si doux, helas! que rien ne peut
                M'oter de l'ame!


  Paris, Juin 1862.




A FELIX M***


  Ainsi, mon cher ami, nous voila vieux, malades,
  Ennuyes, serieux, melangeant notre vin,
  Toi souffrant, moi rimeur, en un mot, tres-maussades,
  _Alea jacta est_ ... et je parle latin!

  Qui m'aurait dit cela lors de nos serenades
  Sous les balcons d'Aline, et de nos escapades
  La nuit, dans mon quartier, alors que, le matin,
  Nous nous apercevions que le sommeil est sain?

  Plus j'y songe, vraiment, et plus je me desole
  Que, pour de bons amis, un pareil temps s'envole,
  Puisque l'amitie reste et qu'elle doit grandir.

  Et, comme j'y pensais en ouvrant cette page
  Pour y mettre ces vers, je songeais qu'a notre age
  C'est un bien d'etre unis et de se souvenir.


  Paris, Juin 1862.




A MON PERE


  Grace au titre un peu plaisant,
  Un peu plaisant qu'on me prete,
  Puisque me voila poete,
  Helas! poete, a present!

  O ma muse, allez-vous-en,
  Allez-vous-en, et la fete
  Que nous fetons sera faite,
  Sera faite plus gaiment;

  Ou chargez-vous de lui dire
  Qu'il me garde son sourire
  Gai comme un soleil de mai.

  Car il n'est de poesie
  Au monde, ni d'ambroisie
  Qui vaille un sourire aime.


  Paris, 25 Aout 1862, jour de Saint-Louis.




A MADAME L.. B..

--SUR UN EXEMPLAIRE DES _EMAUX ET CAMEES_--


  Vous vous trompez, je vous le jure,
  Si vous croyez ce rondeau-ci
  Fait d'onyx ou d'email aussi:
  Car Gautier seul acheve ainsi
  Des merveilles de ciselure.

  Mais si je signe: "Votre ami,"
  N'allez pas, je vous en conjure,
  Me dire, en songeant a demi:
      "Vous vous trompez."

  Car, selon moi, si jusqu'ici
  Vous avez cru qu'une parure,
  (Fut-ce un camee en pierre dure,
  Fut-ce un email de Rudolfi),
  Vaut un ami dont on est sure,
  Vous vous trompez.


  Paris, Avril 1862.




ADIEU


  Adieu! mon ame t'a suivie,
  Pareille a la fleur endormie
  Qu'en passant cueille le zephir.
  Avec toi, j'ai senti partir
  Encor un lambeau de ma vie.

  Adieu, toi qui crois en partant
  Qu'un dechirement d'un instant
  N'a pas de mortelles alarmes;
  Toi dont les yeux remplis de larmes
  Etaient si doux en me quittant.

  Adieu, toi qui dans la nuit sombre,
  Sur ce lit, vide maintenant,
  A travers nos baisers sans nombre
  Murmurais follement dans l'ombre
  Ces mots que le coeur seul entend!

  Adieu, toi dont l'epaule nue
  A tant de fois cache mes pleurs!
  Je verrai toujours tes paleurs
  Devant ma tristesse inconnue.

  Tu t'en souviens, du mal sans nom
  Dont tu t'effrayais sans raison,
  Lorsqu'il me prenait sur ta couche;
  Ces acces-la me reviendront,
  Et les pleurs qu'ils me couteront
  Ne s'eteindront plus sur ta bouche.

  Quel est donc ce frisson subit
  D'une fievre incomprehensible?
  Que me veut cet etre invisible
  Qui vient s'asseoir pres de mon lit?

  Quelle est cette voix qui m'appelle
  Et qui me fait palir d'effroi?
  D'ou vient-elle? que me veut-elle?
  Pourquoi cette paleur mortelle
  Des que je l'entends pres de moi?

  Pourquoi suis-je sous son empire?
  Pourquoi sans cesse? Ah! malheureux!
  C'est quand je ne veux plus maudire:
  Soudain, au milieu d'un sourire,
  Je sens mon coeur qui se dechire
  Sous l'etreinte d'un mal affreux.

  Et si, pour tromper cette fievre,
  J'etreignais ton corps adore,
  A peine l'avais-je effleure
  Que sur ton front decolore
  Je sentais se glacer ma levre.


  II

  Je me souviens surtout d'un soir.
  J'etais d'une tristesse affreuse;
  Sur l'oreiller, nue et reveuse,
  Tu le soulevais pour t'asseoir:
  Tout a coup, sortit du ciel noir
  Comme un spectre au fond d'un miroir,
  La lune blafarde et peureuse.
  Je n'y puis songer sans te voir
  Dans cette paleur lumineuse,
  Immobile et silencieuse
  Devant mon sombre desespoir.

  Je voyais ta douce figure
  Pale et muette de terreur;
  Je contemplais avec stupeur
  Ton expression morne et pure,
  Et cela me brisait le coeur
  De voir pleurer sur ta blancheur
  Les ondes de ta chevelure.

  Quel est ce demon acharne,
  Cette voix qui jamais ne change?
  On dirait l'ombre d'un damne
  Qui me poursuit et qui se venge.
  Est-ce un fantome inanime?
  Un spectre dont je suis aime?
  Ou plutot quelque mauvais ange
  Auquel je suis abandonne?
  Rien ne peut lui donner le change.
  Quel est-il donc, ce mal etrange
  Qui ne m'a jamais pardonne?

  Mais, durant ces nuits de folie,
  Souffrant de ces maux inconnus,
  Dans la blancheur de tes bras nus
  Je cachais ma tete palie;
  O vision ensevelie!
  Je sens a ma melancolie
  Que je ne te reverrai plus.

  Adieu! le Destin nous egare:
  Pourquoi partir quand tu m'aimais?
  Le coup de vent qui nous separe
  Va nous separer pour jamais.

  Dans un mois, ou dans une annee,
  Si tu songes a nos amours
  Sans en avoir l'ame troublee:
  Par une belle matinee,
  Pense a cette heure desolee,
  La derniere de nos beaux jours!
  Car cette heure, a peine envolee,
  Tu la regretteras toujours!

  Adieu! pense au cri de detresse
  Que mon coeur te jette en partant.
  Adieu, ma vie et ma maitresse,
  Adieu! songe a notre tendresse,
  Songe a notre dernier instant!

  Adieu! sois heureuse et m'oublie.
  Que Dieu te guide par la main!
  Et que douce te soit la vie,
  Comme le soleil d'Italie
  Qui nous souriait ce matin!

  Oublions-nous, quoi qu'il advienne!
  L'eternite qui va s'ouvrir,
  Qu'elle soit paienne ou chretienne,
  Passera sans nous reunir.
  Dieu m'aurait du faire mourir
  Lorsque ta main serrait la mienne.
  Helas! j'ai peur du souvenir.

  O souvenir! volupte sombre,
  Source de desespoirs sans nombre,
  Qu'un autre te celebre encor!
  Moi je te crains! Tu n'es qu'une ombre
  Et toute ombre rappelle un mort.

  Tu n'es qu'un compagnon perfide
  Qui nous empeche de guerir,
  Souvenir! o spectre livide,
  Qui n'es bon qu'a faire souffrir!


  13 Juillet 1863.




LE REVE


  I

  Elle m'a fait une marque
      Sur le front;
  Les siecles y passeront.
  Chaque rive ou je debarque
      M'apparait
  Sombre comme une foret,

  Comme une foret detruite
      Que le vent
  Tourmente eternellement.

  C'est une terre maudite,
      Et mes yeux
  La retrouvent en tous lieux.


  II

  J'entends des voix gemissantes,
      Et ne vois
  Que le vide autour de moi,
  Et leurs plaintes menacantes
      Font un choeur
  Qui me dechire le coeur.

  On dirait des funerailles
      Dont le bruit,
  Qui vient traverser la nuit
  Semble sortir des entrailles
      D'un enfer
  Qui se serait entr'ouvert.

  C'est comme un chant monotone
      Que les morts
  Viennent chanter sur leurs corps,
  Ou le glas lointain qui sonne,
      Desole,
  De quelque monde ecroule.


  Mont-Riant, Fevrier 1864.




A MA MERE MALADE


  Ces trois fleurs, ma pauvre mere,
  Font un bouquet bien petit;
  Mais au Christ, que ta main chere
  A pendu pres de ton lit,
  Leur nombre est une priere.

  Il commence par la Foi
  Et finit par l'Esperance;
  Ainsi, nous prions pour toi,
  Tous les trois d'intelligence:
  Mon pere, mon frere et moi.

  Triste ou gai, le temps s'efface,
  La neige s'evanouit
  Au premier soleil qui passe.
  Pour nos peines, vienne ainsi
  Quelque beau jour qui les chasse.


  Mont-Riant, 5 Fevrier 1861, jour de Sainte-Agathe.




L'OUBLI


  Ce chercheur d'oubli
  S'exprimait ainsi:

  J'eprouve un souci
  Rien inexplicable:
  Je cherche en vain si,
  Dans ce monde-ci,
  Le plus desirable
  Des biens que Dieu fit,
  C'est de boire a table
  Ou dormir au lit.

  Quand je bois, j'oublie
  Jusqu'a ma folie,
  Et je suis heureux;
  Quand je dors, l'envie
  De boire est partie
  Et je perds la vie
  En fermant les yeux.

  O fievre bizarre!
  Fou raisonnement!
  Dans ce double aimant,
  Mon esprit s'egare
  Regulierement;
  Et, je le declare,
  Je ne sais vraiment
  Si c'est en buvant
  Ou bien en dormant
  Que l'oubli s'empare
  De moi plus gaiment.
  Et, plus je compare,
  Plus, a tout moment,
  Ma raison s'effare
  A chercher comment
  Ce doute charmant
  Peut m'etre un tourment.

  Le sommeil, c'est l'ange
  Qui veille sur moi:
  Le sommeil me venge
  De n'etre ni roi,
  Ni pape et, ma foi!
  De n'etre que moi.
  Quand je bois, tout change
  Si je veux, je crois
  Etre agent de change.
  Dans ce que je vois,
  Tout va, tout m'arrange;
  Tout ce que je bois
  M'est d'un charme etrange.

  Le vin, c'est l'oubli,
  Mais, je le confesse,
  Le sommeil aussi.
  L'un est la paresse
  Et l'autre l'ivresse.
  Leur double caresse
  Est enchanteresse,
  Et dans ma detresse,
  Je flotte en esprit
  De la table au lit.

  Et rien ne peut faire
  Que, pour en finir,
  Des biens de la terre,
  Malgre mon desir,
  Je sache saisir
  Lequel je prefere
  De boire ou dormir.


  Mont-Riant, Fevrier 1864.




LE MYOSOTIS

--A MON PERE--


  Dis-moi, la connais-tu, la fleur que je prefere?
  Celle qu'au bord de l'eau je cueille avec mystere
        Dans le sentier perdu;
  Celle qui, dans l'instant ou, reveur, je l'admire,
  Tantot me fait pleurer, tantot me fait sourire,
        Dis-moi, la connais-tu?

  Ce n'est pas cette fleur orgueilleuse et coquette,
  Le dahlia hautain qui redresse la tete,
        Envieux et jaloux;
  Superbe parvenu qu'un parterre vit naitre,
  Et qui n'orna jamais la modeste fenetre
        D'un poete humble et doux.


  II

  C'est le myosotis, la fleur douce et pensive,
  Etoile du gazon scintillant sur la rive,
        Rayon du souvenir
  Par qui l'amer regret se change en esperance
  Et dont l'azur promet au coeur gros de souffrance
        Un celeste avenir.

  Tresor des coeurs aimants, combien tu nous rappelles
  De vierges comme toi pales, jeunes et belles,
        Epouses du tombeau!
  Tu fais revivre un nom parfume d'ambroisie,
  Un nom cher a l'amour, cher a la poesie:
        Hegesippe Moreau.

  Pere, c'est le present que mon amour t'apprete;
  De mon coeur a ton coeur il sera l'interprete
        Le plus digne de foi;
  Sous des cieux etrangers m'accompagnant sans cesse,
  Ce talisman dira, stimulant ma tendresse:
        "Enfant, rappelle-toi."


  Margency, 25 Aout 1864.




COLLOQUE D'AUTOMNE


  LE POETE.

  Tel, dominant le cerf qui brame,
  Le vent pleure dans les bouleaux:
  Tel le tumulte de mon ame,
  Pareil a celui de ces flots,
  M'agite, et le fracas des lames
  Couvre le bruit de mes sanglots.

  Mer, toi dont le charme est severe
  Comme severe ta splendeur,
  J'aime ta beaute large et fiere
  Qui se mesure a la grandeur
  De ton calme au chant seducteur,
  Comme a celle de ta colere.

  J'aime ton orgueil de geant
  Et ta puissance revoltee,
  Et ton desespoir effrayant
  De te voir soudain arretee:
  Toi qui semblais illimitee,--
  Contre qui nul frein n'est puissant.

  Deferlez, vagues bondissantes!
  J'aime vos clameurs menacantes;
  Roulez sous le vent qui vous tord.
  Votre voix, comme un bruit de mort,
  Domine, a travers la tourmente,
  La foudre qui gronde moins fort.

  J'aime a voir vos houleuses cretes
  Que l'ouragan roule et blanchit.
  Ainsi l'on doit voir dans la nuit,
  Surpris dans ses nocturnes fetes,
  S'enfuir au souffle des tempetes
  Un troupeau sinistre et maudit.

  Je me berce a vos cris de rage,
  O flots tumultueux et fiers;
  Soit que vous alliez sur la plage
  Rejaillir en flocons amers,
  Ou sur des rocs noirs et deserts
  Vous briser loin de tout rivage.

  Pleure sur les ecueils, o flot!
  Ta souffrance est le seul echo
  Dont le cri reponde a la mienne.
  Ton chant me berce dans ma peine
  Et mon ame en desordre est pleine
  De ton tumultueux sanglot.

  Ta voix est d'autant plus puissante,
  Ta colere, plus menacante,
  Et ton cri, plus terrible encor
  Qu'il meurt de son supreme effort:
  Et ta vague, qui se lamente,
  Jette, en pleurant, son cri de mort.

  Mer, ta grandeur est eternelle,
  Mais ton flot meurt quand il gemit.
  Tel mon coeur tremblant, qui fremit
  Avec une angoisse mortelle
  Mourra, comme ce flot rebelle,
  Du cri qu'il jette dans sa nuit.

  L'ESPERANCE.

  Arrete, o toi qui, dans la nuit profonde,
  Remplis l'echo du chant de tes douleurs!
  Pour tant souffrir, es-tu donc seul au monde?
  Verse en mon sein la peine qui t'inonde:
  Je t'ai compris et j'accours a tes pleurs.
  Enfant, dis-moi le mal qui te dechire.
  Il n'en est pas sans doute qui soit pire,
  Car, a travers tes pleurs et ton delire,
  Tu blasphemais et tu parlais de mort.
  Je viens a toi. Courage, o mon poete!
  Ne vois-tu pas, la-bas, cette mouette?
  Son aile est blanche et joyeux son essor.
  Ne vois-tu pas cette etoile nacree
  Qui fend la nue a peine dechiree,
  Et cette voile, un instant eclairee,
  Qui fuit, s'abaisse et reparait encor?

  LE POETE.

  L'etoile a disparu. La mouette effaree
  S'est enfuie en poussant de lamentables cris.
  Le vaisseau s'est perdu dans l'obscure nuee:
  Je crois qu'il a sombre, car ma vue egaree,
  Aux lueurs des eclairs, sur l'onde tourmentee,
  Apercoit par moments de sinistres debris.
  Qui que tu sois, fantome ou vivant qui m'appelles!
  Ta voix est douce et grave, et mon coeur te benit.
  Mais il est des douleurs profondes et cruelles,
  Qui ne guerissent plus au contact d'un ami.
  Que viens-tu faire ici, par cette nuit obscure?
  Si c'est pour moi, retourne et fuis-moi desormais.
  J'aurais voulu t'aimer, car ta parole est pure:
  Mais je garde en mon coeur une telle blessure,
  Que, jusque dans la mort, le mal qui me torture
  Fera saigner mon ame et ne mourra jamais.

  L'ESPERANCE.

  Il n'est point de souffrance au monde
  Qui soit si grande et si profonde.
  Que rien ne la puisse guerir.
  Il n'est de blessures mortelles
  Dont le temps, sur ses vastes ailes,
  N'emporte jusqu'au souvenir.
  Viens, enfant, calme ton delire.
  Je connais ton cruel martyre;
  Mais je suis l'Ange au doux sourire:
  Avec moi tout peut rajeunir.

  LE POETE.

  Ange! qui donc es-tu, toi, dont la voix sonore,
  Comme un souffle de Dieu, murmure dans la nuit?
  Tu parles de sourire? Ah! pour sourire encore,
  Ignores-tu le poids du mal qui me devore?
  C'est un feu qui me brule et partout me poursuit.

  L'ESPERANCE.

  Enfant, cede a ma priere.
  Surmonte ta peine amere;
  Je saurai te consoler.
  A celui qui desespere
  Ma presence est douce et chere;
  Cesse de te desoler.
  L'homme m'appelle Esperance.
  Je suis soeur de la Souffrance:
  Il n'est de douleur immense
  Que je ne sache calmer.

  LE POETE.

  Fille des cieux, retourne a celui qui t'envoie.
  Mon ame a tout jamais s'est repliee en soi.
  Parmi les souvenirs ou mon etre se noie,
  Mon coeur desespere n'entrevoit plus de joie.
  Mon ame est sans espoir, et mon esprit sans foi.
  Va! poursuis ton chemin, et donne, sur la route,
  Ta main et ta jeunesse a celui qui t'ecoute
  Sans redouter encor d'etre trompe par toi.
  Pour moi, la Solitude accompagne ma vie:
  Mere du doute et soeur de la Melancolie.
  Les destins sont ecrits et mon coeur suit sa loi.

  L'ESPERANCE.

  Adieu! puisque tu me repousses.
  Je pars et pleure en te quittant.
  J'aurais voulu rendre plus douces
  Les angoisses de ton neant.
  Adieu! Si ta voix me rappelle,
  Par hasard, un jour de malheur,
  Tu me retrouveras fidele;
  Car je te suis a tire-d'aile,
  Et je t'aime comme une soeur.

  L'OUBLI.

  Je suis l'Oubli. Silence,
  Mer! apaise ton flot
  Comme un lointain sanglot
  Qui soupire en cadence.
  C'est l'ordre de la-haut.
  Envolez-vous, nuages,
  Bise, remonte au Nord;
  Sombre esprit des naufrages,
  Que ton souffle de mort
  Se disperse. Ravages,
  Disparaissez. Toi, mer,
  Prends ces corps aux yeux caves;
  Engloutis tes epaves
  Au fond du gouffre amer.
  Voici l'Oubli qui passe:
  Que la plus faible trace
  Se dissipe et s'efface
  Au jour qui va venir.
  Couvrons de mon mystere
  La divine colere.
  Qu'il n'en reste a la terre
  Pas meme un souvenir.
  J'entends, pres de la plage,
  Deux voix s'entremeler.
  Est-ce un couple volage,
  Sur le bord du rivage,
  Echangeant un baiser?
  Tous deux vont oublier,
  S'ils sont sur mon passage.
  Mais je n'entends plus rien
  Qu'une timide plainte.
  C'est la voix presque eteinte
  D'un sylphe aerien.

  LE POETE.

  Une brise plus fraiche a dissipe la nue;
  Comme un essaim trouble, l'ouragan s'est enfui;
  La lune, encor voilee, apparait, demi-nue.
  C'est etrange. On dirait qu'une force inconnue
  A disperse soudain les horreurs de la nuit.
  Quel est ce bruit qui vient de reveiller la greve?
  Une voix inconnue a traverse les airs:
  Qui donc, a pareille heure, est en ces lieux deserts?
  Mais non, je me trompais. Nul accent ne s'eleve.
  Personne.... Je suis seul au bord des flots amers,
  C'est une vision qui passe comme un reve.
  Pourtant, qu'entends-je encore? On parle cette fois.
  Je ne distingue rien, malgre le clair de lune;
  Mais la brise de nuit, qui souffle de la dune,
  M'apporte jusqu'ici l'echo de cette voix.
  Ce n'est point la le son d'une parole humaine;
  Elle est imperieuse et douce en meme temps.
  A travers quelques mots que je distingue a peine,
  J'entends confusement que cette voix lointaine,
  D'un timbre doux et clair, commande aux elements.
  Sitot qu'elle a passe, partout nait le silence.
  Pourtant, de ce cote je crois qu'elle s'avance:
  Quel est-il, ce Genie errant, dont les baisers
  Rasserenent les flots, par son aile apaises?
  Si c'est une ombre encor, ce n'est plus l'Esperance,
  Sa voix etait moins breve.--Ange mysterieux,
  Qui descends sur la terre a l'heure ou tout repose,
  Toi de qui la parole ordonne a toute chose!
  Dis-moi ton nom avant de remonter aux cieux.

  L'OUBLI.

  Je suis le frere du Silence.
  Dieu me donne un pouvoir immense;
  Je repands l'eternelle nuit,
  Et je puis, du bout de mon aile;
  Effacer la trace mortelle
  Et de la Joie et du Souci.
  Mes compagnons sont le Mystere
  Et le Bruit, l'Ombre et la Lumiere;
  Quant a moi, le Temps est mon pere,
  Et je suis aussi vieux que lui.
  Je suis le sommeil de l'aurore,
  L'ivresse que le vin colore;
  L'homme me maudit et m'implore,
  Car je suis l'Ange de l'oubli.

  LE POETE.

  Sur mon passage, alors c'est le ciel qui t'amene.
  Avant de t'envoler, repands a coupe pleine
  Ton baume bienfaisant sur mon coeur en lambeaux.
  Ange, viens m'effleurer de ton aile si pure,
  Car je porte dans l'ame une large blessure
  Qui ronge ma poitrine, et sa rude morsure
  Fait eclater mon coeur et le brise en morceaux.

  L'OUBLI.

  Ami, quel que soit le martyre
  Du supplice qui te dechire,
  Je ne puis aller avec toi.
  Pourquoi faut-il qu'en cette vie,
  Celui qui m'implore et supplie
  Ne puisse attendre rien de moi?
  Helas! telle est ma destinee
  Que ceux dont la voix eploree
  Du fond de leur nuit desolee
  M'appelle du soir au matin,
  Sont les seuls de qui ma puissance
  N'apaisera pas la souffrance.
  Laisse-moi passer en silence,
  Ami, j'obeis au Destin.

  LE POETE.

  Va donc.... Et maintenant du mal qui te harcele
  Meurs, o mon triste coeur, brise par ton amour.
  Seigneur! ne vois-tu pas que ce coeur est plein d'elle,
  De celle qu'en tous lieux ma pauvre ame rappelle;
  Et que ce souvenir d'une amour immortelle
  Poursuit ton pauvre enfant sans treve et sans retour?
  Dieu tout-puissant! quel est le destin qui me pousse?
  O mystere eternel! que viens-je faire ici?
  Meurs plutot. Que ce soit la derniere secousse!

  Ah! cent fois mieux valait mon eternel ennui
  Qu'un amour qui me laisse une telle blessure!
  Mieux vaudrait le degout que le mal que j'endure,
  Mieux vaut n'aimer jamais que souffrir la torture
  Dont l'amour nous flagelle ou qu'il laisse apres lui!

  Au moins, que cette amour, mon Dieu, soit la derniere!
  Qu'elle brise mon coeur en atomes si fins,
  Qu'il n'en reste pas meme une trace ephemere!
  Et que le vent d'automne en chasse la poussiere
  Devant la feuille d'arbre et l'ecume legere
  Que son souffle, au hasard, seme par les chemins!


  1864.




IMPRESSIONS DE VOYAGE


  I

  Elle m'apparut, rasant l'eau,
  Dans le sillage du vaisseau.
  C'etait le soir, elle etait belle.
  J'avais vingt ans depuis un jour;
  Je compris qu'elle etait l'Amour,
  Et je tendis les bras vers elle.

  Son sourire etait caressant.
  Elle me fit signe en passant
  De la suivre a travers les ombres.
  Mais soudain je la vis palir,
  Pencher sa tete et s'engloutir
  Parmi la mer Blanche, au flots sombres.


  II

  Quatre ans plus tard, sous d'autres cieux,
  Las de trainer, silencieux,
  Mon coeur et ses vaines alarmes,
  Un matin je la reconnus,
  Sortant des flots comme Venus,
  Et riant a travers des larmes.

  D'un pied reveur elle sillait
  L'onde, ou son reflet vacillait
  Comme dans un miroir qui bouge.
  "Ton nom?" fis-je. Elle repondit:
  "L'Esperance!" et se confondit
  Avec l'azur de la mer Rouge.


  III

  Plus tard encore, errant toujours,
  Plus las, plus seul qu'aux premiers jours,
  Je la retrouvai sur ma route.
  Mais son front, quoique jeune encor,
  Semblait triste jusqu'a la mort,
  Et portait les traces du doute.

  Elle rit d'un rire nerveux
  En secouant de ses cheveux
  Je ne sais quelles fleurs decloses;
  Puis, dans un sanglot, murmura:
  "Je suis ta Gloire!" et s'engouffra
  Dans la mer Bleue aux vagues roses.


  IV

  Et plus tard enfin, une nuit,
  Ronge de fatigue et d'ennui,
  J'ai vu cette ange de detresse.
  Mais lors, pour la derniere fois,
  J'entendis sa mourante voix
  Qui me dit: "J'etais ta Jeunesse!"

  L'eau la bercait comme un beau lis.
  Sur sa gorge aux tons appalis
  Du sang se melait a l'ivoire,
  Et je vis celle que j'aimais
  S'enfoncer morte et pour jamais
  Sous les flots verts de la mer Noire.


  Mont-Riant, 18 Fevrier 1865.




A MA MERE


  Mere, crois-moi, ces quelques vers,
  Si mauvais qu'ils puissent paraitre,
  Te portent mes voeux les plus chers
  Et tout le meilleur de mon etre.

  Et ce griffonnage moqueur
  Prouve, moralite profonde,
  Qu'on peut confier un bon coeur
  Aux plus mechants quatrains du monde.


  Paris, 31 Decembre 1865.




A MON PERE


  Pere, voici cinq ou six vers
  Ecrits a tort et a travers.
  Si tu fais tant que de les lire,
  Dis-moi donc comment il advient
  Qu'un enfant qui t'aime si bien,
  Ne sache pas mieux te le dire.


  Paris, fin Decembre 1865.




ENVOI

DE _ROSINE ET ROSETTE_, A ***


  Enfant au seduisant visage,
  Vous qui, d'un doigt rose, ouvrirez
  Ce volume, et qui le lirez
  Si vous en avez le courage,
  Rose blonde, quand vous verrez
  Votre doux nom sur cette page,
  A votre amant vous penserez.

  Ne me reprochez pas ce livre,
  C'est un mechant petit recit,
  Assez mal rime, Dieu merci!
  Mais tel qu'il est, je vous le livre:
  Tachez d'etre bonne pour lui.

  Assez d'autres m'ont fait un crime
  De quelques vers trop sans facon.
  Vous qui m'avez pris ma raison,
  Que peut vous importer ma rime?

  Gardez ces vers en souvenir
  Du temps ou nous etions ensemble:
  Jamais deux coeurs qu'un Dieu rassemble
  N'ont ete plus prompts a s'unir.


  Paris, Aout 1865.




SOUVENIR DE MARGENCY

--A MON PERE--


  Mon pere, il me souvient de cette heureuse enfance
  Qui s'ecoulait pour nous entre ma mere et toi.
  C'est un frais souvenir: je ne sais pas pourquoi
      Depuis tantot j'y pense.

  Involontairement je revois le chemin,
  Ou j'allais, chaque soir, t'attendre, avec mon frere,
  Grimpes sur un vieux mur qui n'en pouvait plus guere,
      Pour te voir de plus loin.

  Je revois ce jardin en fleurs ou notre mere
  Tachait de se facher et n'y parvenait pas,
  Quand le vieux jardinier trouvait dans un parterre
      La trace de nos pas.

  J'evoque ce passe qu'un souvenir colore,
  Ou la perte d'un nid etait un grand revers.
  Je me revois enfant, libre, et courant encore
      Parmi les buissons verts.

  A present je vieillis. Crois-moi, tout me le prouve.
  D'abord j'ai vingt-cinq ans sonnes depuis trois mois,
  Et puis d'ou viendrait donc ce charme que je trouve
      A parler d'autrefois?

  Jamais un souvenir n'est exempt de tristesse.
  C'est comme un chant lointain, d'une etrange douceur,
  Qui nous berce un instant; mais, si doux qu'il paraisse,
      Il nous serre le coeur.

  Je sais le cas qu'il faut faire de ce mensonge,
  Qui prete aux jours enfuis comme un cruel eclat,
  Et cependant, ce soir, je l'accueille et je songe
        Aux jours de ce temps-la.


  Paris, 25 aout 1865.




A MON FRERE


  Charlot, pardonne-moi ces vers;
  Soit a l'endroit, soit a l'envers,
  Ils te diront que je t'adore.
  Et si, par cas, tu les as lus,
  Frere, crois-moi, n'y pense plus,
  Car ils te le diraient encore.


  Paris, 12 Aout 1865




EFFET DE LUNE

DANS LA MITIDJA

RIMES RICHES

--A THEODORE DE BANVILLE--


  C'est l'heure ou la ferme
      Ferme.
  Le Soir incertain
  Trace en decoupures
      Pures
  L'horizon lointain.

  Une vapeur vaine
      Veine
  Le couchant blemi,
  Et semble au bord d'une
      Dune,
  Un flot endormi.

  La nuit qui l'apaise,
      Pese
  Sur l'homme qui dort,
  Et le ciel s'etoile,
      Toile
  D'azur aux points d'or.

  Cependant le tremble
      Tremble,
  Lorsqu'en voltigeant,
  Une folle brise
      Brise
  Ses feuilles d'argent.

  Quelque pauvre here
      Erre
  Dans la Mitidja,
  Et, dans le silence,
      Lance
  L'air de _Kadoudja_.

  Dans la diapree
      Pree,
  Du ruisseau mutin
  L'onde trebuchante
      Chante
  Son air argentin,

  Et l'herbe entr'ouverte,
      Verte,
  Frange ses reseaux,
  Ou l'eau qui roucoule,
      Coule
  Parmi les roseaux.

  Le sol uniforme
      Forme
  Un tapis ouate,
  Dont la ronce aride
      Ride
  L'uniformite.

  La, le cactus perse
      Perce
  L'aloes en fleurs;
  La ronce jumelle
      Mele
  Ses piquants aux leurs.

  Bien que leur ensemble
      Semble
  Au hasard eclos,
  Leur triple ramure
      Mure
  De pauvres enclos.

  L'Arabe en maraude
      Rode
  Dans les alentours,
  Et suit de malignes
      Lignes,
  Pleines de detours.

  Sa marche est coulante,
      Lente,
  Et ne s'entend pas.
  Et le sinistre etre,
      Traitre,
  Guette a chaque pas,

  Afin qu'il evite
      Vite
  L'oeil du gabelou,
  Et, dans la broussaille,
      S'aille
  Cacher comme un loup.

  La lune d'opale,
      Pale
  Dans les bleus sillons,
  Inonde la plaine,
      Pleine
  De pales rayons.

  O lune blafarde,
      Farde
  Ton visage blanc;
  Tache que ta face
      Fasse
  Un oeil moins tremblant!

  Ton air morne et grave
      Grave
  Au fond de mon coeur
  Ton grand trou livide,
      Vide,
  Au reflet moqueur.

  Pauvre astre impassible!
      Cible
  De tant de rimeurs!
  Est-ce de ce qu'on te
      Conte,
  Lune, que tu meurs?

  Leur lyre enervante
      Vante
  Ton disque jauni.
  Toi qui vois leur tache,
      Tache
  Que ce soit fini.

  D'une voix emue,
      Mue
  Par un faux _humour_,
  Est-ce toi qu'un homme
      Nomme
  L'astre de l'amour?

  Ta mechante corne,
      Qu'orne
  Ta jaune couleur,
  Est plutot l'embleme
      Bleme
  Qui porte malheur.

  Ta prunelle eteinte,
      Teinte
  D'un morose eclair,
  Semble une lanterne
      Terne
  Pendue au ciel clair.

  Quand la Nuit, sereine
      Reine,
  Tient l'homme abattu,
  Vers la solitaire
      Terre
  Que regardes-tu?

  La lumiere adverse
      Verse
  Des rayons hagards.
  Lune, que t'importe?
      Porte
  Ailleurs tes regards.

  Va, pale inconnue,
      Nue,
  Glisse au sein des nuits,
  Laisse notre immonde
      Monde
  Tout charge d'ennuis.

  Glisse dans l'espace.
      Passe.
  Et, bouche sans voix,
  Sache avec mystere
      Taire
  Tout, ce que tu vois.


  Paris, Mars 1866.




MANDOLINE


  J'ai pour unique amante
  Une fille charmante,
  A l'oeil profond et doux
  Comme un ciel andalous.
  --Quelque ennui me tourmente.

  Son tuteur subroge
  N'a, certes, pas songe
  Que je pourrais peut-etre
  Entrer par la fenetre.
  --Je ne sais ce que j'ai.

  C'est un moyen pratique,
  Tres-vieux, mais poetique
  Et qui, pour nos amours,
  Nous est d'un grand secours.
  --Je suis melancolique.

  Que j'aime la rougeur
  De plaisir et de peur
  Dont rougit, quand j'arrive,
  Mon amante craintive!
  --J'ai du noir dans le coeur.

  Seigneur! qu'elle est jolie!
  J'en ai fait ma folie;
  Et sans elle, ici-bas,
  Je n'existerais pas.
  --Tout m'attriste et m'ennuie.

  Sa soeur a de grands yeux
  Bruns; mais les siens sont bleus.
  On ne sait trop laquelle
  Des deux est la plus belle.
  --Je suis tres-malheureux.

  Et, deux fois la semaine,
  A l'eglise elle mene,
  Ange plein de douceur,
  Son tuteur et sa soeur.
  --Comment guerir ma peine?

  Ma main souffletterait
  Quiconque toucherait
  Un cheveu de la tresse
  De ma jeune maitresse.
  --J'eprouve un mal secret.

  Le coeur me bat d'avance.
  Le soir, lorsque je pense
  Que va sonner pour nous
  L'heure du rendez-vous.
  --Quelle triste existence!

  Certes, j'aime a plein coeur
  Cette belle en sa fleur,
  Et l'amour de ma mie
  M'est plus cher que ma vie.
  --Mais ... j'aime aussi sa soeur.


  Paris, Avril 1866.




ROUTADE


  Decidement, la mort est belle.
  J'ai dix-neuf ans, et je m'en vais
  Me faire sauter la cervelle,
  Pour en finir a tout jamais.
  Celle que j'aime s'evertue
  A se cacher je ne sais ou:
  L'ai-je revee ou l'ai-je vue?
  N'importe, il faut que je me tue,
  Pour qu'on sache que j'en suis fou.

  Ce n'est point par amour du drame;
  Mais enfin c'est original
  De se tuer pour une dame
  Que l'on a rencontree au bal.




DECLARATION D'ECOLIER

--A CONSTANT COQUELIN--


  I

  Madame, ayez la politesse
  De m'ecouter, fut-ce un instant:
  J'ai quinze ans, sans qu'il y paraisse,
  Et je ne suis plus un enfant.
  Veuillez donc, sans vous mettre a rire,
  Me preter une oreille ou deux,
  Car j'ai quelque chose a vous dire
  De tres-grave et tres-serieux.

  Je ne sais trop comment m'y prendre,
  Le courage va me manquer:
  Promettez-moi de me comprendre,
  N'ayez pas l'air de vous moquer!
  Ce que j'eprouve m'epouvante,
  Mais m'epouvante ... au dernier point!
  Et si vous croyez que j'invente,
  Vous vous meprenez de bien loin.

  Si vous connaissiez la nature
  Du mal dont je suis chatie!
  Vous feriez une autre figure,
  Et m'auriez en grande pitie.
  C'est un malaise fort bizarre,
  Pour moi seul sans doute invente,
  Et qui doit etre un cas tres-rare,
  Peu connu de la Faculte.

  C'est une espece de folie,
  Bien effrayante, en verite!
  Car elle est a la fois remplie
  De douceur et de cruaute.

  Mais ce que je tremble de dire,
  C'est qu'en tous temps, c'est qu'en tous lieux,
  Ce qui me cause ce martyre,
  Condamnable et mysterieux,
  C'est ... cela va bien vous surprendre;
  Ah! madame, pardonnez-moi!
  C'est vous!--Et vous devez comprendre
  A present quel est mon emoi.
  Je sens le rouge qui me monte!
  Surtout, jurez-moi le secret;
  Car, bien sur, je mourrais de honte
  Le jour ou cela se saurait.

  Oui, c'est vous qui troublez ma vie,
  Vous dont l'image me poursuit,
  Vous, ma douleur et ma folie!
  Vous, mon soleil, et vous, ma nuit!
  C'est vous, quand la lune eploree
  Sur mes vitres vient scintiller;
  C'est vous, dans sa lueur nacree,
  Vous dont je vois les yeux briller!
  Et si le sommeil, faisant treve,
  Gagne un instant mon front pali,
  C'est vous encor que dans mon reve
  Je vois passer pres de mon lit!

  C'est vous dont je vois le sourire!
  C'est vous dont je sens le toucher!
  Et meme, alors que je respire,
  C'est vous que j'entends respirer!
  Je sens votre main qui m'effleure,
  Et je m'eveille en etouffant,
  Et je me desole et je pleure,
  Et je pleure comme un enfant.
  Et cette vision m'est chere,
  Madame, et chere ma douleur....
  Ah! ne vous montrez point severe,
  Car vous me briseriez le coeur!


  II

  Je sais que j'aurais du me taire.
  Mais n'en ayez point de courroux.
  Ayez pitie de ma misere,
  Laissez-moi vivre aupres de vous.
  Laissez-moi vous voir, vous entendre.
  Laissez-moi toucher votre main;
  Je ne sais ce qui m'a pu prendre,
  Mais ce sera passe demain.

  Il me faut pourtant vous apprendre
  Que cela m'a pris tout d'un coup,
  Sans que j'y pusse rien comprendre,
  Un jeudi qu'il neigeait beaucoup!

  Vous etiez en fourrure grise;
  C'etait a Paris, cet hiver.
  Je me rappelle votre mise
  Tout comme si c'etait hier.
  Vous veniez de monter tres-vite,
  Ma mere etait a la maison!
  Vous alliez faire une visite,
  Et je sortais de ma lecon.
  Vous aviez quelques airs de reine
  Que je trouvais fort de mon gout,
  Mais vous me regardiez a peine,
  Et vous m'intimidiez beaucoup.

  Quant a moi, malgre ma contrainte,
  Je vous regardais de mon mieux,
  Et j'ai si bien pris votre empreinte,
  Que je l'ai toujours dans les yeux.
  Pour vous voir monter en voiture
  Je collai mon front aux carreaux,
  Et restai dans cette posture
  Tant que je pus voir vos chevaux.
  Puis, comme un avare en cachette,
  Je fermai ma chambre aux verrous,
  Et je repassai dans ma tete
  Tout ce que j'avais vu de vous.

  Je vous avais vue un peu vite,
  Mais j'avais pourtant remarque
  Que vous aviez la main petite
  Et le poignet bien attache.
  Ce poignet devint ma folie,
  Ce fut la ce qui me perdit!
  L'attache eut ete moins jolie,
  Je crois que je serais gueri.
  Tels qu'ils sont au bout de vos manches,
  Vos petits poignets fin serres
  M'ont fait passer bien des nuits blanches
  Et bien des jours decolores.

  Mais je veux m'efforcer d'en rire,
  Et j'ai des larmes dans les yeux.
  Qu'ai-je fait pour qu'un tel martyre
  Me dechire le coeur en deux?

  Helas! qui change ainsi ma vie?
  De quel mal est-ce la le cours?
  C'est quelque horrible maladie
  Sans precedent jusqu'a nos jours!

  C'est une torture mortelle!
  Je l'ai gagnee en vous voyant,
  Et je crois, lorsqu'elle s'en mele,
  Que la douleur me rend mechant.

  Eh bien, cette souffrance affreuse,
  Dont je parle avec tant d'effroi,
  Je la voudrais contagieuse.
  Pour que vous l'eussiez avec moi!




CHANSON D'OURIDA


  Le coeur dans les yeux, les yeux sous le voile,
  La belle revait, le voile epingle;
      La brise a souffle....
  La brise a souffle sur la fine toile;
  Le voile est ouvert, l'amour est passe,
      Le coeur envole.

  Le ciel est ardent, la brise est legere;
  Quelque cavalier, qui va son chemin,
      Passe a la portiere
      De ton palanquin.

  La belle, ou va-t-il ton regard d'etoile?
  Ton voile frissonne au vent du matin:
      Qui donc, sous ton voile,
      Fait trembler ta main?

  Le coeur dans les yeux, les yeux sous le voile,
  La belle revait, le voile epingle;
      La brise a souffle....
  La brise a souffle sur la fine toile;
  Le voile est ouvert, l'amour est passe,
      Le coeur envole.

  Le jeune homme est loin; la maison est close.
  Qu'il fait chaud dehors! voici la fraicheur.
      La belle repose
      D'un air de langueur.
  A quoi songes-tu? Te voila si pale!
  Tu penches ton front comme un lis en fleur.
      Qui donc, sous ton chale,
      Fait battre ton coeur?

  Le coeur dans les yeux, les yeux sous le voile,
  La belle revait, le voile epingle;
      La brise a souffle....
  La brise a souffle sur la fine toile;
  Le voile est ouvert, l'amour est passe,
      Le coeur envole.

  La lune se leve et la nuit est pure.
  --Ne dirait-on pas le trot d'un cheval?--
      C'est l'eau qui murmure
      Son chant de cristal.
  Folle, il faut dormir. Quel reve t'effleure?
  Qui donc tient encore en ces lieux deserts,
      En depit de l'heure,
      Tes beaux yeux ouverts?

  Le coeur dans les yeux, les yeux sous le voile,
  La belle revait, le voile epingle;
      La brise a souffle....
  La brise a souffle sur la fine toile;
  Le voile est ouvert, l'amour est passe,
  Le coeur envole.




KIEF


  I

  Au plein coeur de l'ete, vers le milieu du jour,
  A l'heure ou, des coteaux qu'un ciel ardent calcine,
  Le serpent vient dormir au bord de la ravine;
  Quand l'air semble sortir de la bouche d'un four,
  Et que le grand soleil, brulant comme la braise,
  Grille un sol crevasse comme un mur de fournaise;
  Alors que la cigale au chant criard et faux
  Dont la monotonie est comme une cadence,
  Fait, seule, de son cri resonner les echos;
  A cette heure de calme et de profond silence,
  C'est un fait reconnu que tout bon musulman,
  Ferme dans sa maison, fume nonchalamment;
  Et, suivant sa fumee en spirales tordue,
  S'il entend par hasard quelque bruit dans la rue,
  Murmure entre ses dents, s'il est homme de bien:
  "Par Mahomet! ce n'est qu'un chien ou qu'un chretien."


  II

  ..... La cour mauresque etait silencieuse
  Et fraiche. On n'entendait, aux marbres des bassins,
  Que le chant vacillant de l'eau capricieuse
  Se perdant sous la voute en echos argentins;
  Et, comme un rossignol, le soir, dans la campagne,
  Chante et, de sa chanson que nul bruit n'accompagne,
  Prete un calme plus doux aux douces nuits d'ete:
  Tel, en se cadencant sur les murs de faience,
  On eut dit que ce bruit grandissait le silence.
  Ainsi qu'un feu follet, dans un site ecarte,
  La nuit, autour de lui, grandit l'obscurite.

  Il faut l'avoir connu pour s'en faire une idee,
  Ce charme singulier, cette etrange torpeur,
  Dont les Orientaux font un divin bonheur:
  D'aspirer des parfums dont l'ame est affaissee,
  De rever sans sommeil et presque sans pensee,
  Et, le regard perdu, la tete renversee,
  De vivre de mollesse et mourir de langueur.

  Le marbre et ses blancheurs ont bien des indolences
  Que ne connaissent pas nos boudoirs d'Occident.
  O l'amour! les parfums! le vin! les nonchalances!
  L'oubli, surtout, l'oubli! le seul bien vraiment grand
  Et le seul desirable! Il est donc vrai qu'au monde,
  Sous nos tristes climats comme au soleil ardent,
  C'est vous que l'homme cherche a travers son neant!

  Volupte! volupte! divine enchanteresse!
  Dis-moi ton dernier mot; laisse-moi jusqu'au bout
  Savourer a longs traits ton enervante ivresse.
  Je t'appartiens. Prends-moi. Revele-moi surtout
  Si l'on peut, pour mourir en des plaisirs immenses,
  Epuiser d'un seul coup toutes les jouissances.
  Que je vide la coupe, et puis tout sera dit:
  Un linceul n'est-il pas toujours un drap de lit?

  Si je vis sans jouir, que m'importe la vie?
  Que m'importe la mort si je meurs de plaisir?
  Quels regrets peut laisser cette soif assouvie
  De sentir, en mourant, tout ce qu'on peut sentir?
  Qu'un autre te meprise et te jette la pierre!
  Je t'aime, o volupte! je t'adore, o matiere!
  Et qui n'a pas connu tes baisers epuisants
  N'aura jamais vecu, dut-il vivre mille ans!


  III

  C'est la liqueur de feu qui guerit ou qui tue.
  C'est le coursier sans frein, qui va bride abattue:
  Malheur au cavalier! car sa bete au pied sur
  Peut lui briser d'un coup la tete contre un mur!
  C'est le reve epuisant d'une ivresse nerveuse
  De morphine ou d'opium: Ah! malheur a celui
  Qui s'enivre de kief lorsque le jour a lui!
  Son front se fletrira comme une tubereuse
  Au contact d'un serpent. Pour lui, plus de sommeil;
  Tantot il fuira l'ombre et tantot le soleil;
  Il aura beau fumer, boire et tripler la dose:
  Rien! Et si quelque soir, d'aventure, il repose,
  La nuit qu'il dormira n'aura plus de reveil.

  C'est l'ideal brillant du pays de nos reves.
  C'est la sirene en mer; c'est l'ange aux ailes d'or
  Qui nous prend dans son vol et nous fait voir des greves
  Ou nous n'irons jamais, et nous montre le port,
  Sans nous montrer l'ecueil d'ou lui sourit la mort;
  Car dans notre univers les anges ont des glaives
  Et lorsque celui-la, l'ange au chant seducteur,
  Nous sourit en passant et nous touche de l'aile,
  Malheur a l'imprudent qui tend les bras vers elle
  Et le suit dans son vol vers un reve enchanteur!
  S'il monte jusqu'aux cieux, plus leger que la flamme,
  S'il s'endort au depart dans un charme trompeur,
  S'il se berce au concert d'une amoureuse gamme,
  Ou suit en souriant quelque ombre de bonheur:
  Malheur! malheur a lui! l'ange a brandi son glaive,
  Un glaive flamboyant, et qui perce en plein coeur!
  Alors, sentant fremir l'aile qui le souleve,
  Il pousse un cri funebre; et, sortant de son reve,
  Se reveille en sursaut sur cette terre en pleur;
  Et, la, desespere, pleurant sur sa chimere,
  Sombre et suivant des yeux son reve qui s'enfuit,
  Chante au sein de la nuit, d'une voix triste et claire,
  Un chant plein de sanglots perdu dans le mystere,
  Et tel que le passant qui rentre apres minuit,
  Se sentant frissonner, murmure une priere,
  Et croit entendre encor dans le soir solitaire
  Comme une etrange voix dont l'echo le poursuit.

  Plus doux fut le bonheur, plus l'ombre en est amere!
  Plus le jour fut ardent, plus profonde est la nuit!
  La lune brille au ciel d'un eclat funeraire.
  Et quand le malheureux contemple sa misere,
  Il n'en peut comparer l'immensite sur terre
  Qu'a l'infini perdu qui se ferme sur lui!




A MADAME GEORGE SAND


  _Ce livre est mon premier coup d'aile.
  Il est signe d'un nom d'enfant;
  Mais l'enfance a cela pour elle
  Quelle est faible et qu'on la defend.

  Vous le savez mieux que personne,
  Reine au front de musc, abrite
  Par une immortelle couronne,
  Qui pourtant m'avez adopte.

  Vous la gloire, vous le genie,
  Vous oubliez votre moisson
  Precieuse et du ciel benie,
  Pour mieux sourire a ma chanson!

  Vous trouvez en ce temps morose
  Un plaisir magnifique et doux
  A faire de rien quelque chose:
  Mais qui le peut, si ce n'est vous?

  Sur sa route, quand on est reine,
  On donne a des bohemiens,
  Et l'on peut etre la marraine
  De mechants vers comme les miens.

  C'est le droit du rayon superbe,
  Lorsqu'il embrase la foret,
  De dorer aussi le brin d'herbe
  Que tout passant dedaignerait.

  Il enflamme, il eclaire ensemble
  Tout un monde horrible ou charmant,
  Et de la goutte d'eau qui tremble
  Fait l'egale du diamant._


  Nohant, Juillet 1862.




NOTES AU CRAYON




La lettre qui sert d'introduction a ce recueil posthume indique assez le
sentiment qui nous fait le livrer a l'impression.

Mais les personnes amies auxquelles ce livre est destine ne
s'expliqueraient peut-etre pas la publication des boutades tristes ou
railleuses, des reflexions decousues qui vont suivre, si nous ne leur
disions les motifs qui nous ont porte a ne pas les eloigner de ce
recueil.

Ces _Notes_ etaient jetees au crayon sur un cahier ou Prosper ecrivait,
de temps a autre, dans une forme sommaire et imparfaite, les fantaisies,
les repliques, les oppositions de mots, les bizarreries qui se
presentaient a son esprit.

Souvent il semble avoir voulu tracer une de ces legendes qui n'ont de
valeur que lorsqu'elles se trouvent placees au-dessous d'un dessin de
Gavarni ou de Daumier.

Si donc nous nous decidons a publier quelques-unes de ces _Notes au
crayon_, ce n'est pas que nous ayons la faiblesse de leur attribuer
une valeur morale ou philosophique; nous les publions parce qu'elles
revelent, mieux peut-etre que tout ce qui precede, le tour d'esprit,
l'originalite de cet ete charmant qui a ete et qui a emporte la
meilleure part de notre vie.

Nous prions nos amis de ne voir la aucune pretention puerile: nous n'en
avons d'autre, en verite, que celle de conserver quelques traits d'une
physionomie delicate et fine, d'un talent qui n'a pas eu le temps de
tenir ses promesses.

Nous avons dit que ces _Notes_ revelaient le tour d'esprit de Prosper.
Elles ont peut-etre un autre merite--si merite il y a:--c'est qu'elles
revelent et prennent, en quelque sorte, sur le fait--bien a l'insu de
leur auteur!--quelques traits aussi de l'esprit, des tendances, des
deceptions, des tristesses du temps present.

Il n'est pas, pour l'historien, de documents insignifiants: le moindre
detail peut lui servir a expliquer, a reconstruire meme certains aspects
d'une societe disparue.

Qui sait si un exemplaire de cet humble livre--conserve par hasard,--qui
sait si ces _Notes_, que notre bien-aime poete ecrivait pour lui seul,
n'aideront pas un jour quelque Oedipe de l'avenir a dechiffrer moins
difficilement l'enigme que prepare le Sphinx contemporain?

Puisse cette explication faire comprendre a nos amis le motif qui nous a
decide a conserver quelques-unes de ces _Notes au crayon_!

L.J.




I

EN MARGE D'UN CAHIER


Dans une cuisine de campagne, sur la table en bois blanc, les mouches
serrees les unes contre les autres dans les endroits ou donne le
soleil....

       *       *       *       *       *

Sous les arbres, le soir, avant le coucher du soleil, les moucherons
voltigent en un seul essaim dans la clarte d'un rayon.

       *       *       *       *       *

Le vent peut deraciner un chene; mais il passe au travers d'une toile
d'araignee sans pouvoir l'emporter.

       *       *       *       *       *

Ses petits pieds chuchotaient sur le parquet....

       *       *       *       *       *

... Balafrer l'ame....

       *       *       *       *       *

On dit: le parfum de la rose et l'odeur du chou.

       *       *       *       *       *

  ... Mais sous son corsage de bure
  Frissonne une peau de satin.

       *       *       *       *       *

J'ai vu, dans des endroits publics, des gens tout seuls rire avec
recueillement.

       *       *       *       *       *

--C'est un petit malheur.

--Oui, mais les malheurs c'est comme les diamants; si petit que cela
soit, c'est toujours quelque chose.

       *       *       *       *       *

Ou la douleur trouve un souvenir, la joie rencontre des larmes. Le gris,
qui parait clair a cote du noir, est sombre a cote du blanc.




II

OPINIONS SUR TELS ET TELS


Il est de ces gens dont la frequentation gaterait n'importe quelles
natures; comme la boue et la poussiere qui tachent en blanc sur les
habits noirs et en noir sur les robes blanches.

       *       *       *       *       *

La visite de Mme *** est une chose si ennuyeuse que, lorsqu'on la
recoit, c'est sans le faire expres,--comme une tuile.

       *       *       *       *       *

Son ingratitude est si grande qu'un bienfait s'y perdrait,--quoi qu'en
dise la Fontaine.

       *       *       *       *       *

X*** ne procede qu'avec du papier timbre.

--Son papier est comme lui; c'est sa maniere de le faire marquer a son
chiffre.

       *       *       *       *       *

Chez lui, la main gauche semblait ignorer ce qu'avait recu la main
droite.

       *       *       *       *       *

--Vous connaissez Chose, le jeune banquier? Pour la toilette il ne
craint personne.

--Ce garcon-la a toujours une tenue admirable, disait-on l'autre jour
devant la petite R***.

--C'est vrai, fit-elle en surencherissant, une tenue ... de livres!

       *       *       *       *       *

EN PARLANT DE QUELQU'UN QUI A L'ESPRIT MECHANT

Il a des eclats de rire qui sont comme des eclats d'obus. On ne s'en
releve pas.

       *       *       *       *       *

X*** a la joie silencieuse. Quand il est content, il rit sans faire de
bruit. C'est comme une petite fete de famille qui se passe en lui. On
n'en est pas.

       *       *       *       *       *

H*** est un beau parleur, comme un tambour qui est creux et sonore.

       *       *       *       *       *

Il vous a une physionomie ouverte ... a deux battants!

       *       *       *       *       *

EN PARLANT DE MADAME A***, QUI EST BEGUEULE ET PRETENTIEUSE

--Avec du temps et de la patience, on en deviendrait amoureux.

       *       *       *       *       *

--Elle a fait ses dents tres-tard.

--Et encore .. pas elle-meme!

       *       *       *       *       *

--Oh! il est toujours en avance, allez! Ce n'est pas lui qui arrivera
apres le potage.

--Naturellement ... les huitres d'abord; la soupe ensuite. C'est une
regle.

       *       *       *       *       *

--Elle, jeune?... Je reponds qu'elle n'a pas besoin de se mettre a deux
pour avoir quarante ans.

       *       *       *       *       *

--On lui prete des amants.

--Qui lui en prete?

--Mais ... Mme T***.

--Oh! elle ... cela n'est pas etonnant. Elle en a assez pour en preter
aux autres.

UNE AUTRE

--C'est vrai, mais il ne faut pas la faire plus genereuse qu'elle ne
l'est. Elle a toujours soin d'en garder quelques-uns pour elle.

       *       *       *       *       *

Le nez de mon negre est epate; mais celui d'Espinosa est epatant.

       *       *       *       *       *

--X*** est agacant. Il parle du nez et il parle continuellement.

--Eh bien, c'est un tres-bon sentiment. Cela prouve qu'il n'oublie pas
les absents, lui, au moins.

       *       *       *       *       *

Un sot bien connu. Je ne pretends point parler de H***.

       *       *       *       *       *

Le Maelstrom n'est pas plus profond que le silence qui accompagne les
plaisanteries de X***.

       *       *       *       *       *

... Il est bon comme le bon pain ... et mauvais comme le bon fromage.

       *       *       *       *       *

J'ai vu un tel, le Polonais; il embaumait l'eau de ... Cognac.

       *       *       *       *       *

--Elle est maigre!... mais maigre a figurer sur la table du pape un
vendredi saint!

       *       *       *       *       *

... Une fille qui s'etait vouee au celibat ... et aux celibataires.

       *       *       *       *       *

X*** pretend que Bade est un vrai paradis ... sans doute parce qu'il y
joue un jeu d'enfer.

       *       *       *       *       *

--Z*** a constamment l'air de faire blanc de son epee.

--C'est son epee qui m'a l'air de fer-blanc.

       *       *       *       *       *

--M. P***? c'est un pedant.

--Tiens. Mais Chose nous en a dit beaucoup de bien.

--Oh! il n'y a rien d'etonnant a ce que M. P*** lui ait plu. M. P*** est
sot, terne et grave; il doit lui aller comme le vin blanc aux huitres.

       *       *       *       *       *

--X***? Ce n'est pas un homme, c'est un nez.

--Pardon. Ce n'est pas un nez, c'est un timon.

       *       *       *       *       *

--Un potage maigre ... comme Mlle M*** et plus froid que le public
lorsqu'elle chante....

       *       *       *       *       *

Et quant a ses phrases, on ne saurait lui reprocher de les faire trop
courtes ou trop longues: elles durent juste le temps qu'un ane met a
braire.

       *       *       *       *       *

--Chose est un charmant garcon.

--Le fait est qu'il n'est pas marie.

       *       *       *       *       *

--X*** a la physionomie tres-franche.

--C'est vrai.... Il a l'air bete; mais au moins il l'est.

       *       *       *       *       *

T***? Quand il lui arrive de dire la verite, c'est pour le plaisir de
faire un faux mensonge.

       *       *       *       *       *

Six heures et M. Bruno sonnerent avec un remarquable ensemble, tant a
la porte qu'a la pendule. Il ne dit pas: "Je suis exact." Il dit: "La
pendule va tres-bien."

       *       *       *       *       *

--Il a la fatuite de se croire modeste et la modestie d'avouer qu'il est
fat. Et il dit:

--Je suis modeste puisque j'avoue que je ne le suis pas.

       *       *       *       *       *

Il est de ces gens qui se figurent qu'en allumant une lanterne a midi on
n'en verrait que mieux le soleil.

       *       *       *       *       *

En ses jours de tristesse, Calino pretend qu'il n'etait pas ne pour
vivre.




III

CAPRICES DU LANGAGE


On appelle "age tendre," sans doute par antiphrase, l'epoque de la vie
ou l'on n'a pas encore connu l'amour.

       *       *       *       *       *

... Pas le plus petit geant!...

... Pas l'ombre de soleil....

... Pas la queue d'une tete....

       *       *       *       *       *

DICTON AMERICAIN

Payez et vous serez confedere.

       *       *       *       *       *

... Mais, triple notaire que vous etes!...

       *       *       *       *       *

Est-ce parce que l'imagination voyage sans cesse comme une vagabonde,
qu'on la dit folle du logis?

       *       *       *       *       *

Une lorette disait:

--Un de mes amants les plus intimes....




IV

CE QUE DISENT

LES DISEURS DE RIENS


--Un doigt de cour et ... deux doigts de jardin, avec un petit hotel au
milieu,--et je vous promets que cet ange sera a vous.

       *       *       *       *       *

Si l'Amour etait reellement le fils de Venus, comme la Mythologie veut
le faire croire, par quel miracle Venus, sa mere, l'aurait-elle concu et
engendre?

       *       *       *       *       *

Je ne sais si reellement, en Orient, la parole est d'argent et le
silence est d'or; mais je sais bien que dans nos pays, les trois quarts
du temps, _le silence est urgent, car la parole endort_.

       *       *       *       *       *

--Nos chevaux _devorent_ l'espace.

--C'est une nourriture si legere!

       *       *       *       *       *

"La femelle est faite pour le male ... et la femme pour le mal."--J'ai
lu cela sur le calepin d'un ami a moi.

       *       *       *       *       *

... Il lui allongea un soufflet ... de forgeron! C'est tout dire.

       *       *       *       *       *

Fiat ... _luxe_!

       *       *       *       *       *

Huit et sept font quinze et cinq font vingt; je pose zero et je ne vous
retiens plus.... C'est assez vous dire que vous pouvez vous en aller.

       *       *       *       *       *

Les caresses ne prouvent rien. On n'aime pas toujours la carriere qu'on
embrasse.

       *       *       *       *       *

J'entends dire bien souvent qu'il n'y a plus d'enfants.

Ce n'est toujours pas faute d'en faire.

       *       *       *       *       *

Dans le journalisme actuel, il faut etre _timbre_ pour aborder les
questions dites serieuses.

       *       *       *       *       *

Un condamne a mort disait:

--Le bourreau et moi, nous sommes de la meme taille, mais bientot il
aura la tete de plus que moi.

       *       *       *       *       *

... Une sauce relevee,--un peu plus haut que le genou....

       *       *       *       *       *

A la guerre il faut qu'on _paye_ ou qu'on _pille_.

       *       *       *       *       *

Il faut que la chasse soit ouverte ou fermee.

       *       *       *       *       *

Les voyages deforment les chapeaux et les malles.

       *       *       *       *       *

PROVERBE

Qui paye ses dettes _sent Clichy_.

       *       *       *       *       *

On dit: La fortune, c'est le travail.

On dit: Le travail, c'est la liberte.

Or la liberte fait les revolutions.

Et les revolutions detruisent les fortunes.

       *       *       *       *       *

Que de dejeuners de soleil, manges par une averse.

       *       *       *       *       *

... Et les fils uniques sont rares! sans doute parce qu'on en trouve
rarement plus d'un dans la meme famille.

       *       *       *       *       *

  La vie tient a un fil,
  Et l'heure a une aiguille.

       *       *       *       *       *

Comme on dort bien dans son lit quand on est couche ... sur un bon
testament!

       *       *       *       *       *

X*** parle depuis longtemps de se bruler la cervelle.

--Bah! il sait bien que le feu ne se propage pas dans le vide.

       *       *       *       *       *

La verite sort de la bouche de l'innocence ... pour n'y plus revenir.

       *       *       *       *       *

LES PUCES DE MADDALA

A Maddala, dans la tribu des _Beni ben Jagoub_,--ou l'on trouve dans
son lit tant de puces et si peu de pucelles,--Ali Scheriff et moi,
moi surtout, nous etions piques comme des couvre-pieds de molleton.
Impossible de decouvrir une heure de sommeil dans toute la maison.
C'est la que je me suis fait le serment a moi-meme, si jamais j'ai des
capitaux, de les laisser dormir au moins huit heures par jour.

Mon compagnon, qui se grattait tout autant que moi, mais qui tenait sans
doute a prendre la defense de son pays, me disait de temps a autre, en
maniere d'encouragement:

--N'y pensez pas, voyez-vous; les puces, c'est comme cela, des qu'on
peut n'y pas penser, on ne les sent plus.

Je ne repondais rien, mais je n'en pensais pas moins ... aux puces.

C'est absolument comme les personnes qui ont les jambes coupees: si
elles n'y pensaient pas, elles pourraient courir.

       *       *       *       *       *

Que voulez-vous faire? il faut bien tuer le temps, n'est-ce pas?

--Naturellement ... puisque c'est un grand maitre.

       *       *       *       *       *

Pour un qui _brille_, vingt qui _braillent_.

       *       *       *       *       *

Il faut que le temps se couvre ou que le teint se cuivre.

       *       *       *       *       *

--Connaissez-vous la difference qui existe entre une chute et une
cataracte?

--Non.

--C'est qu'une cataracte est un beau spectacle, au lieu qu'une chute est
un spectacle ennuyeux.

Exemple: Le Niagara, c'est une cataracte. La comedie de ***, voila une
chute.

       *       *       *       *       *

--Eh bien, garcon, et ce cafe? Il ne parait que le soir, comme _la
Patrie_?

       *       *       *       *       *

--Un journal qui se dit bien informe,--ce qui deja est une erreur de sa
part,--....

       *       *       *       *       *

Mlle X*** faisait mettre une glace au plafond de son lit:

--C'est pour me voir dormir, disait-elle.

       *       *       *       *       *

Un boheme, encore plus boheme que C***, a invente une sentence dont il
fait un frequent usage avec ses fournisseurs. Il leur soutient que la
Fontaine a dit: _A l'oeil_ on connait l'artisan. Son bottier la trouve
tres-mauvaise.

       *       *       *       *       *

LE MARIAGE EN DEUX PARTIES

  _Lune_ de miel,
  L'autre de fiel.

       *       *       *       *       *

Un pays ou il fait si froid qu'on ne sait jamais au juste si les gens
vous parlent ou s'ils eternuent.

       *       *       *       *       *

Et la piece tombait, toujours!...

       *       *       *       *       *

J'ai la faim canine et la soif caline.

       *       *       *       *       *

PROVERBE

Mieux vaut _lard_ que _navet_.

       *       *       *       *       *

--Tel journal n'est pas timbre, n'est-ce pas?

--Cela depend. Comment l'entendez-vous?

       *       *       *       *       *

--Je ne sais pas ce que j'ai. Je crois que je vais etre malade; je
m'endors continuellement.

--Vous vous ecoutez trop, mon cher.

       *       *       *       *       *

--X*** n'a pas le moindre fond.

--C'est un vrai tonneau d'_Adelaide_:

       *       *       *       *       *

--Il ne faut pas confondre la _ronde_ avec l'_anglaise_,--qui est
generalement plate.

       *       *       *       *       *

... Une poire ... d'angoisse, pour la soif.

       *       *       *       *       *

Qui donc dit que X... est un chef de secte? c'est d'insectes qu'il faut
dire.

       *       *       *       *       *

EN CALECHE

--Qu'est-ce qui sent donc le brule?

--Nous allons tres-vite; ce doit etre le pave.

       *       *       *       *       *

Calino,--toujours Calino, il n'y a que lui pour cela,--admirait un
geant:

--Dieu! comme il serait grand si c'etait un nain! disait-il. Quel grand
nain cela ferait!

       *       *       *       *       *

Le gros X*** fume continuellement. Ce n'est pas un homme, c'est une
cheminee....

--Bouchee.

       *       *       *       *       *

L'avez-vous revu?

--Oui, je l'ai revu ... et corrige.

       *       *       *       *       *

Mme M*** me disait en parlant de T***:

--Comment une femme peut-elle supporter qu'un etre pareil lui fasse la
cour? C'est a peine si je lui permettrais de faire mon escalier.

       *       *       *       *       *

--Vous connaissez donc Chose?

--Il m'a ete presente hier.

--Et ... est-ce qu'il vous a plu?

--A verse! je ne savais plus ou me fourrer.

       *       *       *       *       *

--Un tel? je ne peux pas le sentir.

--Mon cher, il faut que vous y mettiez bien de la mauvaise volonte ...
ou que vous ayez le nez bouche a l'emeri.

       *       *       *       *       *

Il a pris ses cliques; et ses claques, il les a ... recues. Et puis il
s'est en alle.

       *       *       *       *       *

--... Mais enfin, pourquoi le supportez-vous de sa part et pas de la
mienne?

--Il en a le droit, lui.

--Eh bien, et moi?

--Vous? c'est le contraire: vous n'en avez que le travers.

       *       *       *       *       *

Un negre qui lisait un rapport de M. B***, de l'Institut, sur les noirs,
dans lequel ce savant expliquait que la presence d'une grande quantite
de fer dans le sang des negres est l'unique cause de leur couleur,
s'ecriait amerement:

"Si c'etait au moins du fer-blanc!"

       *       *       *       *       *

La direction du Vaudeville est presque aussi impossible que celle des
ballons.

       *       *       *       *       *

J'ai demeure en face d'un changeur et j'ai remarque qu'il entrait par
jour, dans sa boutique, environ cinq fois plus de femmes que d'hommes.

Je savais bien deja que les Parisiennes etaient _changeantes_, mais pas
a ce point-la.

       *       *       *       *       *

Vous ne me toucherez qu'apres avoir passe sur _son_ corps.

       *       *       *       *       *

DEVANT UNE TABLE SPLEDIDEMENT MISE

--Voyez! Comment trouvez-vous que ce couvert est mis?

--Comme un prince.

       *       *       *       *       *

On sent l'air lorsqu'il est frais et le poisson lorsqu'il ne l'est pas.

       *       *       *       *       *

Pourquoi dit-on: Madame est servie! quand c'est la soupe qui est servie.

       *       *       *       *       *

Une femme a son voisin de table:

--Comme les hommes sont gourmands! C'est donc une bien douce chose que
d'etre ainsi sur sa bouche?

_Lui_:--Pas si douce a coup sur que d'etre sur la votre!

       *       *       *       *       *

SCIE D'ATELIER

--Mon cher, avec un gilet ... de boeuf, une culotte pareille, des pieds
truffes, un col ... de poisson, une tete de veau, des cotelettes de
mouton, un _chapeau_ du Mans, un coeur ... de salade et surtout une
langue ... farcie, pourvu qu'on possede un certain _chic a la noix_, on
peut toujours se tenir au milieu d'un entourage ... de cornichons!

       *       *       *       *       *

A TABLE

_Une dineuse_: Ha! je m'en suis mordu la langue.

_Son voisin_: Et vous vous plaignez? Je voudrais bien etre a votre
place.

       *       *       *       *       *

La mer etait tranquille ... comme Baptiste.

       *       *       *       *       *

L'art d'elever les lapins et de s'en faire trois mille _lievres_ de
rentes.

       *       *       *       *       *

J'ai trop peu d'argent pour l'employer a des depenses utiles.

       *       *       *       *       *

_Le sergent de ville_: Votre profession?

_Le filou_: Je fais la chaine aux incendies.

_Le voyou_: Et la montre aux feux d'artifices.

       *       *       *       *       *

La preuve que le fromage est une chose atroce, c'est que la Fontaine a
dit qu'une lecon (et une lecon c'est pourtant bien ennuyeux) vaut encore
mieux qu'un fromage.

       *       *       *       *       *

--Monsieur, voila une parole imprudente.

--Eh bien, alors j'ai bien fait de ne pas la garder.

       *       *       *       *       *

X*** a la plaisanterie funebre.

--C'est egal; je lui trouve l'esprit mordant quelquefois.

--Oui, c'est-a-dire ... croque-mordant.

       *       *       *       *       *

--Outre qu'il est bete, je ne le crois pas bon. Il n'a pas une figure
ouverte.

--Dame! il faut la faire ouvrir ... il y a une ecaillere au coin.

       *       *       *       *       *

... Maigre comme un----clown....

       *       *       *       *       *

Un Monsieur,--je vous en prie, ne l'appelons pas Calino!--devant qui on
causait sur la vie et la mort, disait que, quant a lui, le seul espoir
de mourir lui donnait le courage de supporter la vie.

--Vraiment? fit quelqu'un.

--C'est certain. Et la preuve c'est que si la mort n'existait pas, je me
serais suicide depuis longtemps.

       *       *       *       *       *

Pourquoi, dans les cartes, le trefle signifie-t-il de l'argent?

--Parce que si tout le monde avait du trefle, presque tout le monde
aurait de quoi manger.

       *       *       *       *       *

B*** a toujours des arguments tres-serres.

--C'est vrai. On dirait des cornichons dans un bocal.

       *       *       *       *       *

Pour le moment, dans cette affaire-la, c'est lui qui tient la corde.

--Il devrait bien en profiter pour se pendre.

       *       *       *       *       *

... Un _orgueil_ de Barbarie....

       *       *       *       *       *

DICTON

--On ne sait ni qui _rit_ ni qui _pleure_.

       *       *       *       *       *

--_Aie de quoi_, le ciel t'aidera.

       *       *       *       *       *

--Calino, est-ce que vous entendez le grec?

--Parbleu!... je ne suis pas sourd.

       *       *       *       *       *

A la sortie d'une gare, pendant qu'on chargeait des malles sur un
fiacre, les chevaux avancaient continuellement de quelques pas.

--Ah ca! mais, cocher, vous voulez donc partir avant d'etre charge? Vous
etes encore un drole de pistolet.

--Oh! non, bourgeois, j'aurais d'abord besoin d'un _canon_.

       *       *       *       *       *

  Le feu prend,
  Le chaland donne,
  Le caoutchouc prete.

       *       *       *       *       *

--Vous la jugez trop severement. Elle est moins mal que vous ne le
dites. Quoique un peu maigre, elle est bien plantee.

--Je crois bien!... comme avec un marteau!... on s'y pendrait!

       *       *       *       *       *

Chose est un bien joli garcon, mais il se met trop de parfums. Il
embaumerait ... un mort, a quinze pas.

       *       *       *       *       *

Les sujets de tristesse ou les sujets ... de pendules, c'est autre
chose.

       *       *       *       *       *

PROVERBE

Un bon _Titien_ vaut mieux que deux _Ribeira_.

       *       *       *       *       *

A DEUX PERSONNES QUI SE PARLENT BAS

--Vous savez? si vous etes de trop ... que je ne vous gene pas.... Vous
pouvez sortir.

       *       *       *       *       *

J'avais pour connaissance un sergent, qui faisait quelquefois la
lecture, le soir, a la chambree. Et chaque fois qu'il rencontrait
l'abreviation de _et caetera_, ne sachant comment la traduire, il se
bornait a nommer bien haut les trois lettres dans leur ordre respectif.
Cela faisait un drole d'effet a la fin d'une phrase, E.T.C. Un jour il
eut un trait de lumiere et, se frappant le front, s'ecria: "Faut-il
que je sois bete pour ne pas avoir compris ca plus tot!" Il venait de
deviner. Et, en effet, a dater de ce jour-la il traduisit le mysterieux,
_etc._ en disant: _Et ta soeur?_

       *       *       *       *       *

--Qu'est-ce qu'il y a donc eu, sergent, en 93, qu'on nous en parle
souvent?

--En 93?... Eh bien, pardi! c'est la revolution de 1830.

       *       *       *       *       *

--Sergent, j'ai entendu dire que le tonnerre ne tombe jamais sur les
paratonnerres.

--Eh bien, le tonnerre_re_ a cela de commun avec moi, car_rr_ je puis
dir_rr_e que cela ne m'est jamais arr_rr_rive non plus_ss_e: jusqu'a
pr_rr_esent du moins_ss_e.

       *       *       *       *       *

Le _violon_--corps de garde, ainsi nomme parce qu'on y est conduit par
des _archers_.

       *       *       *       *       *

Pour _doubler_ un cap, est-ce qu'il faut en avoir un autre pareil?

       *       *       *       *       *

DANS UNE BAL COSTUME--A UN SANCHO PANCA

--Pardon ... est-ce au seigneur Sancho ou a son ane que j'ai l'honneur
de parler?

       *       *       *       *       *

--AU BAL DE L'OPERA--

A un sauvage.

Eh! Peau-Rouge!... est-ce que c'est vrai que dans ton quartier les
forets sont encore vierges?

       *       *       *       *       *

--Voyons, monsieur, offrez donc un rafraichissement a madame.... A son
age, cela ne peut pas lui faire de mal.

       *       *       *       *       *

A un vieux.

--Pardon, monsieur. C'est bien au doyen des centenaires de France que
j'ai l'honneur de parler!

       *       *       *       *       *

--Madame est blanchisseuse? j'ai reconnu cela tout de suite ... en
voyant ses battoirs.

       *       *       *       *       *

A un municipal, a la porte du foyer.

--Dites-moi un peu: vous n'auriez pas vu, par hasard, passer un monsieur
en habit noir?...

       *       *       *       *       *

A un arrivant.

--Monsieur arrive de Cancale?... C'est dommage, on n'en veut plus.... La
soupe est servie.

       *       *       *       *       *

Au meme arrivant.

--Mais comme vous voila fripe, jeune homme!... Vous etiez donc bien
serres, dans cette bourriche?

       *       *       *       *       *

A un nez dans le genre de celui de Polichinelle.

--Toi, tu as un joli nez, c'est vrai; mais c'est bien dommage que tu
n'en aies qu'un. Si tu pouvais te procurer la paire, je t'assure que tu
ferais de l'argent.

       *       *       *       *       *

Une voiture a stores baisses rentre a Paris au petit trot. A l'octroi,
l'employe entr'ouvre la portiere et dit:

--Vous n'avez aucune declaration a faire?

--Merci ... c'est fait.




MISANTHROPE


--Mon Dieu! rendez-moi des champs qui ne soient pas Elysees, des bois
qui ne soient pas de Boulogne, des pres qui ne soient point Catelans!...

       *       *       *       *       *

J'entends souvent des gens se plaindre d'avoir la vue basse; mais je
n'en ai jamais entendu se plaindre d'avoir l'ame placee au meme niveau.

Pourtant il doit en exister.

       *       *       *       *       *

Il est vrai que la Bourse a l'air d'un temple grec. Mais cette forme
est tres-rationnelle. Si nous n'avions pas nos temples, ou diable
mettrions-nous nos Grecs?...

Et meme nos Juifs, par-dessus le marche?

       *       *       *       *       *

Un ecrivailleur, qui passe sa vie a attaquer les gens qui meurent,
priait quelqu'un d'ecrire deux lignes sur un album. Voici les deux
lignes.

--Ce ne sont pas ceux qui s'en vont qui sont a _craindre_; ce sont ceux
qui restent.

       *       *       *       *       *

  Je ne suis pas de ceux qui disent: Ce n'est rien,
            C'est une femme qui se noie.

Au contraire, je me dis: Tiens, tiens, cela en fait toujours une de
moins.

       *       *       *       *       *

Une espece de chanson a laquelle, s'il y avait eu des paroles, il
n'aurait plus manque qu'un air.

       *       *       *       *       *

... Et puis un monsieur nous a lu un tas de petits vers
tres-soporifiques qu'il avait organises pour la circonstance.

       *       *       *       *       *

Jadis les esprits litteraires avaient le culte des filles de Memoire.

Les beaux esprits d'aujourd'hui preferent les memoires des filles.

       *       *       *       *       *

Il n'y a que deux manieres de gouverner les peuples. On ne les mene que
par la force ou par la farce.

       *       *       *       *       *

Toujours les femmes et les montres: plus elles sont plates, plus elles
coutent cher.

       *       *       *       *       *

Il en est de certains hommes comme de ces gros nuages qui traversent
l'air par un temps lourd et orageux. Tout le monde est oppresse. Ils
crevent: tout le monde respire.

       *       *       *       *       *

Ah! si j'avais pu prevoir comment vous seriez,--disait-elle en pleurant
a son troisieme epoux,--je vous assure bien que je ne serais pas veuve a
l'heure qu'il est....

       *       *       *       *       *

L'enfant eut, en venant au monde, une crise qui faillit le sauver de
vivre. Par malheur pour lui, le docteur etait reellement habile et le
sauva d'etre sauve.

       *       *       *       *       *

Une femme laide qui fait la begueule, c'est comme une porte de prison
sur laquelle on lirait:

_Le public n'entre pas ici._

--Pardon, mon pauvre enfant, de t'avoir mis au monde!...

       *       *       *       *       *

... Comme toutes les calomnies, le mot eut du succes....

       *       *       *       *       *

La medecine est un art qui fait vivre beaucoup de medecins, vivoter
beaucoup de croque-morts et mourir beaucoup de malades.

       *       *       *       *       *

"... Une societe ou il y a du monde."

C'est ainsi que P*** designe une reunion quelconque ou se trouvent des
indifferents et des ennuyeux. Et lorsqu'on est entre amis seulement,
alors c'est: une societe ou il n'y a personne.

       *       *       *       *       *

Quand on pense que les gens qui possedent des dettes n'auraient qu'a
les payer pour s'enrichir, on est etonne de trouver un si grand nombre
d'ames desinteressees.

On ne me fera jamais croire que les personnes qui ont sous la main
un moyen si simple de faire fortune, preferent rester dans la misere
uniquement pour leur plaisir.

       *       *       *       *       *

Certes, c'est la position la plus humiliante pour un mort que d'etre le
premier mari d'une femme.

Mais je n'en sais guere de plus triste pour un vivant que d'en etre le
second.

       *       *       *       *       *

--A propos, et M. un tel?

--Mais ... il est mort.

--Comment! encore?

--Mais, dame! c'est la premiere fois.

       *       *       *       *       *

--Le 1er mai 1840,--epoque a laquelle je pouvais encore esperer ne
jamais venir au monde....





QUELQUES PAGES D'UN LIVRE




I

MARIE A CECILE


Vous souvenez-vous, Cecile, des bals etourdissants, des grandes soirees,
de nos toilettes et de nos succes de cet hiver?

Que tout cela est loin maintenant!

Loin pour moi seule, bien entendu; car vous, vous etes sans doute encore
a Paris, ou tout au moins dans votre belle propriete d'Enghien, mais
toujours au milieu des bruyantes agitations que nous appelons les
plaisirs du monde, comme une reine que vous etes, sans cesse entouree
d'une cour que vous trainez sur vos pas.

Quand je pense aux changements que peuvent amener quelques mois dans
notre vie, je me sens frappee irresistiblement et comme prise d'une
sorte de vertige a l'idee de l'insouciance avec laquelle nous vivons,
et nous oublions, et nous faisons des projets pour l'avenir, si proche
qu'il puisse etre.

Cette idee-la a quelque chose d'effrayant quand on la regarde en face!

Mon langage doit bien fort vous surprendre, n'est-ce pas, mon amie?
Vous, si rieuse et charmante, si adulee, pour qui l'hiver prochain
s'annonce, ainsi que ceux qui l'ont precede, escorte de son grand
luxe et de ses parures, avec ses salons inondes de lumiere et remplis
d'entrainantes harmonies; vous, heureuse, qui n'entrevoyez la vie qu'a
travers les feuillages aux seduisantes couleurs de vos roses d'Enghien
et de vos camellias de Paris.

Vous n'etiez guere habituee a m'entendre parler ainsi, du temps ou nous
etions reunies? Mais c'est qu'il est survenu dans mon existence bien des
choses depuis ce temps-la. Je n'irai plus dans le monde avec vous, ma
Cecile. Nous n'irons plus toutes deux autour des lacs, ni au theatre, ni
dans aucune fete. Tout cela est perdu pour moi. Je ne sais meme pas s'il
me sera possible de retourner encore a Paris, malgre tout mon desir
de vous revoir et de vous embrasser, et de reprendre nos causeries
d'autrefois, dont je garderai le souvenir tant que je vivrai.

Tant que je vivrai! je suis folle de venir vous attrister avec mes idees
noires. Je le sais bien, mais j'ai tellement besoin de m'epancher, de
parler de mes sentiments et de mes peines! Mes peines ... j'ai tort de
parler de la sorte. Quelles sont-elles? Je n'en ai pas, en realite.
Mais, malgre moi, une tristesse profonde, que le docteur veut appeler:
du calme, reflete palement sur tout ce qui me touche.

Vous vous rappelez que je fus obligee de vous quitter a la fin de
l'hiver dernier pour venir en toute hate aupres d'une vieille tante, qui
se mourait. C'etait la seule parente qui me restat du cote de ma mere,
et c'est chez elle que j'ai ete soignee pendant mon enfance et elevee,
sinon avec tendresse, avec affection du moins. Elle etait bien vieille,
la pauvre femme; et elle s'est eteinte plutot qu'elle n'est morte.
Moi, j'ai passe de longues nuits a son chevet, et je n'etais pas d'un
temperament assez robuste pour supporter la moindre fatigue.

Et puis, il me manquait quelque chose sur cette terre. Je n'avais pas,
comme vous, un mari dont l'amour put repondre au mien. M. Dalmay a l'air
de vous aimer tant! Vous devez etre bien heureuse, Cecile! Quant a moi,
vous le savez, je n'ai jamais connu ce que c'est qu'etre aimee. J'ai
fait, tres-jeune encore, un mariage de raison, comme disait ma tante. M.
de Champre etait vieux et songeait peu a moi. Il etait riche: on parlait
de mon bonheur. Mariee depuis un an a peine, j'etais veuve deja; et
depuis, si l'amitie pouvait nous suffire, j'aurais vecu bien heureuse
avec la votre. Helas! je n'ai pas su me contenter de cette sympathie qui
m'a donne tous les instants de joie que j'ai eprouves ici-bas. Il
me fallait une autre affection plus absolue, plus exclusive, plus
vivifiante, dont tous ont besoin au monde, mais qui nous est parfois
peut-etre plus indispensable qu'aux hommes.

Nee orpheline, pour ainsi dire, puisque j'ai perdu mon pere et ma mere
avant de savoir prononcer leur nom, j'ai passe, ainsi que je vous le
disais, toute mon enfance chez cette tante dont je vous parlais tout a
l'heure, qui m'aimait certainement, mais qui n'avait pas pour moi ces
mille petits soins qui consistent en caresses, en sourires, en gateries
de toutes sortes enfin, et qui apprennent la tendresse aux enfants.

Ici, ma sante, deja faible, s'est graduellement affaiblie: avec lenteur
au commencement, mais a present je sens bien que je m'en vais plus vite
chaque jour.

Mon medecin a beau dire, et faire son possible pour me persuader que
c'est la une langueur passagere: je sais qu'au fond, lui-meme a bien peu
d'espoir.

Je suis si changee, moralement! Si vous me voyiez, Cecile, ma belle
aimee! Il me semble que je n'aimerais plus le monde, ni ses bruits, ni
ses fetes, dont je ne pouvais me passer autrefois. Maintenant je
suis triste. Je me plais a rever, le soir, seule sur ma terrasse, en
regardant les nuages courir dans l'azur qui s'etend infini devant moi,
et je me suis surprise deux fois a songer aux vies futures et a me voir
morte. Morte! pour ce monde ou vous brillez, ou j'ai brille aussi et
dont j'ai ete si folle dans le temps.

Combien tout cela est etrange!

Mais je vois bien decidement que je suis d'un egoisme insense, ne vous
parlant que de moi depuis plus d'une heure et ne songeant meme pas a
demander a ma meilleure amie quelle est sa vie, moi qui, vous le savez
bien, n'est-ce pas? suis si heureuse de vos plaisirs et si triste de vos
tristesses!

Ecrivez-moi, Cecile. Il me semble qu'en lisant vos lettres, je jetterai
un dernier regard sur mon existence passee, a jamais perdue. Et il
est si doux de se rappeler, de faire revivre un peu son coeur dans la
melancolie calme et involontaire qui est la compagne inseparable du
souvenir! Parlez-moi de vos soirees, de vos projets, de votre luxe, de
vos soupirants et des miens aussi, enfin de tout mon beau Paris que j'ai
tant aime!

Les malades sont comme les enfants, ils veulent qu'on les amuse.

Il y a si longtemps que je n'ai ete gaie, si vous saviez! Ici, tout a un
aspect morne qui me glace. A l'exception de Justine, ma petite femme de
chambre, dont le devouement et la peine me touchent, et de mon vieux
docteur que je vois tous les jours et dont je suis journellement les
metaphores galantes et interminables, je ne vois que les gens de la
campagne, les jardiniers, les garcons de ferme, et ma nourrice, qui est
aussi bonne et pour le moins aussi ennuyeuse que ce bon docteur.

Je suis donc seule, ou a peu pres. Et je me complais parfois dans la
torpeur dont cette solitude engourdit mon ame pleine d'esperances
infinies et de souvenirs sans regrets.

Pardonnez, mon amie, je retombe invinciblement dans ma tristesse. J'ai
mes jours, voyez-vous, et mieux vaut que je m'arrete. Si je continuais,
je dissiperais peut-etre le sourire de vos levres et la gaiete de vos
yeux.

Adieu! Ecrivez-moi surtout! Et soyez heureuse! Soyez aimee!

Votre vieille, bien vieille amie,

MARIE DE CHAMPRE D'AVENY.

Aveny, Septembre 1854.


II

CECILE A MARIE


Est-elle bien de vous, chere Marie, cette lettre que j'ai devant les
yeux? On me l'a remise hier matin, comme je venais de me lever, et
depuis ce moment je ne cesse de la relire, tant l'impression que j'en
ai ressentie est singuliere! Comment! c'est vous, mon amie, ma belle
cherie, vous si charmante et avec cela si bonne que je n'ai jamais songe
a vous en vouloir de ce que vous etiez plus jolie que moi, c'est vous,
si mondaine, si danseuse, vous dont la belle main blanche a ecrit ces
lignes que je relis encore avec etonnement, pleines de melancolie et de
regrets!

Votre lettre m'a tout attristee, et je ne sais d'ou vient que je ne puis
me soustraire a mes idees noires qui m'assaillent depuis hier.

Se peut-il que vous soyez aussi changee, Marie!

J'avais pense bien souvent a vous depuis votre depart, si precipite que
nous avons eu a peine le temps de nous faire nos adieux. Je vous vois
encore, au moment ou Justine vous a apporte cette malheureuse lettre
qui vous appelait au chevet de votre tante. On venait de vous essayer,
quelques minutes auparavant, cette delicieuse robe blanche que vous
aviez fait faire pour aller le surlendemain au grand bal de la comtesse
de Sernes.

Vous rappelez-vous avec quel desespoir nous admirions ses grands volants
bouillonnes et releves tout autour par de toutes petites roses: et sa
grande ruche du bas, qui remontait en deux endroits et s'attachait
aussi par deux roses plus grosses que les autres! Avec cela une rose
au corsage et une ou deux encore dans vos beaux cheveux blonds,
completaient votre toilette. Des fleurs, toujours des fleurs, jamais de
bijoux; pas un collier, pas une bague, pas meme de boucles d'oreille,
coquette! Vraiment il n'y a que vous pour savoir mettre tant de charme
exquis et d'elegance dans la simplicite. Aussi, faisiez-vous des
furieuses!

Quelle tristesse a l'idee de partir sans avoir porte cette ravissante
toilette! Et le fait est que la chose en valait bien la peine!

Je crois qu'a votre place je ne serais partie que le lendemain du bal.
Mais votre ame a toujours ete aussi belle que votre visage, et vous
n'avez pas hesite a faire ce sacrifice.

Le soir meme vous etiez en route, et moi, soit pressentiment ou folie
(mon mari pretend que c'est la meme chose), j'eprouvais une tristesse
mortelle de cette solitude ou me laissait votre absence.

Car je suis seule aussi, Marie, et moins heureuse que vous ne le pensez.
Le monde aussi me croit heureuse en voyant mon luxe. Mais le monde ne
voit guere que la superficie des choses, et souvent la mer cache bien
des desastres sous l'azur trompeur de sa surface.

Mon mari est riche. Que lui servirait de me refuser quoi que ce soit?
Cela flatte son amour-propre d'abord, d'entendre vanter le train de
notre maison, mes chevaux et les diamants qu'il me donne. Mais je puis
vous le dire, a vous, ma Mariette adoree, il ne m'aime pas, il ne m'a
jamais aimee, et il m'arrive parfois de faire de douloureuses reflexions
lorsque je me retrouve seule dans ma chambre a coucher, le soir, tandis
qu'il est, lui, je ne sais ou, a Paris, a son cercle, d'ou il ne rentre
que fort tard.

Je tache d'y songer le moins possible; et il faut bien que j'oublie, en
effet, pour paraitre ce que je suis aux yeux du monde, c'est-a-dire la
femme heureuse dont on envie le bonheur. J'etouffe mon coeur quand il
me parle, parce que sa voix me donne toujours des conseils qui me
troublent, et je ne sais quelle puissance incomprehensible qui se trouve
en moi, me pousse a l'ecouter. Alors, pour chasser cette tristesse qui
m'envahit, pour echapper a ces preoccupations qui m'obsedent, je me
rejette plus avant dans le bruit, dans les fetes et mes toilettes. Que
voulez-vous? je cherche dans les plaisirs de mon luxe l'oubli de ce qui
manque a mon ame.

Et voila que, moi qui vous ecrivais pour tacher de vous egayer un peu,
je suis triste comme un gros bonnet de nuit qui s'aviserait de parler.
Voila ce que c'est que d'ecrire a sa meilleure amie d'aussi vilaines
lettres que la votre. On lui fait perdre la moitie de sa pauvre gaiete,
et elle devient incapable de vous rendre le courage qu'elle n'a plus
elle-meme. Ainsi, vous voila prevenue.

Pour cette fois-ci je vous pardonne, parce que l'on peut etre plus
triste ou plus mal disposee un jour que les autres. Cela depend un peu
du temps qu'il fait. Et puis, a la campagne ... et a la campagne en
province, surtout! Mais cela est une raison de plus pour que vous
rentriez bien vite a Paris, ou l'on ne peut plus se passer de vous.
Voila, Mariette de mon coeur, chere aimee, ce qu'il faudra m'annoncer
dans votre prochaine lettre.

Vous me le promettez, n'est-ce pas? a moi, votre meilleure amie, qui
vous aime et qui vous regrette, mais aussi qui vous attend,

CECILE DALMAY.

Enghien, Septembre 1854.


III

MARIE A CECILE


Je suis bien triste, ma pauvre Cecile, et je ne puis me rendre compte de
l'etat de mon ame.

Voila aujourd'hui deux mois, deux longs mois que j'ai recu votre
lettre bonne et tendre comme tout ce qui vient de vous. C'est ma seule
compagnie ici, je me trouve moins seule en relisant ces lignes pleines
de souvenirs ou j'apercois comme en un miroir les reflets lointains
de mon passe, qui se perdent peu a peu dans la brume de l'horizon en
silhouettes gracieuses et insaisissables.

Insaisissables! ce mot rend bien ma pensee, et je n'avais jamais senti,
en le voyant ecrit, tout ce qu'il peut renfermer de tristesse! Car
je tends les bras maintenant, mon amie, vers cette image fugitive,
douloureusement riante, et je pleure et je me debats, folle de
desespoir, car je ne trouve rien sous mes mains que le vide et la nuit,
car je sens mon coeur se serrer de plus en plus, pret a etouffer entre
les angoisses de cette solitude mortelle.

Je me sens mourir nuit et jour, heure par heure, minute par minute. Et
c'est cette solitude qui me tue; et je ne puis plus la fuir, et elle
s'appesantit sans cesse, impitoyable et morne, sur mon ame a jamais
defaillante.

Ma sante ne me permet plus de m'en aller d'ici. Le moindre voyage
suffirait a epuiser le peu de force qui me reste; et quand, apres avoir
passe ma journee assise aupres de ma fenetre a lire ou a rever, je veux
faire un tour de parc pour profiter d'un rayon de soleil, je suis brisee
en rentrant comme si j'avais ete battue. Que se passe-t-il en moi? Je
ne puis le comprendre. Et puis, je n'ose pas, j'ai peur de le deviner.
Pourquoi? Du reste, je ne sais pourquoi je vous parle de toutes ces
folies qui sont capables de vous attrister, et dont la seule pensee me
trouble et me tourmente moi-meme.

Parlons de vous, ma Cecile bien-aimee, de vous qui souffrez aussi, et
qui etes contrainte de cacher votre peine. Combien je vous plains, mon
amie, et qu'il doit vous en couter de garder, pour le monde indifferent
qui vous entoure, le masque de bonheur sous lequel vous languissez! Et
encore, vous etes meilleure que moi, car votre lettre etait pleine de
tendresse et de gais souvenirs. Tandis que moi, au contraire, je ne
sais que vous affliger chaque fois que je vous ecris. Mais vous me
le pardonnerez, n'est-ce pas, Cecile? car il faut me traiter avec
l'indulgence qu'on a pour une enfant malade. Si je suis aussi triste,
c'est qu'il m'est impossible de lutter contre la langueur qui me tue,
voyez-vous!

Mon medecin n'ose plus se fier a lui seul, et il a fait venir ici deux
docteurs celebres de Paris. Tous trois n'osent presque plus me cacher
l'etat dans lequel je me trouve. Ils ne m'ont rien dit, mais je vois
bien sur leur visage, lorsqu'ils se consultent devant moi, que ce n'est
plus qu'une affaire de temps. C'est fini! je puis encore trainer pendant
quatre ou cinq mois peut-etre, mais je n'irai pas plus loin.

Je suis entouree ici de bonnes gens qui passent leur vie a s'efforcer de
m'epargner toute espece de contrarietes. Mais il me semble, en voyant
leurs visages silencieux et mornes, qu'ils sont tous prevenus, et je
crois lire ma condamnation sur chaque figure que je rencontre.

Je suis obsedee par une foule d'idees penibles, de visions etranges,
inexplicables.

J'ai fait, pendant une nuit de la semaine derniere, un horrible reve
dont le souvenir me pese depuis ce moment et me poursuit sans relache.

J'etais assise avec Justine dans le bois qui se trouve derriere la
maison. Nous parlions de Paris, de vous, qui deviez arriver ici le jour
meme pour passer une semaine aupres de moi. J'etais guerie ou a peu
pres, et je comptais m'en retourner avec vous. Tout d'un coup je vis
les arbres qui nous entouraient glisser sur la terre, comme si une main
puissante les avait repousses et je me trouvai debout au milieu d'une
plate-forme autour de laquelle ils s'etaient arretes en rond, serres
les uns contre les autres. Mais ce n'etait plus les memes que tout
a l'heure; de quelque cote que je voulusse tourner mes regards,
je n'apercevais plus que des cypres dont la noire verdure montait
constamment en tiges roides et droites vers le ciel. Effrayee, je me
retournai vers Justine pour prendre sa main. Justine avait disparu. Je
voulus l'appeler; ma langue restait collee a mon palais. A la place
qu'elle occupait un instant auparavant, le spectre de la Mort, tel qu'on
nous le depeignait au couvent, ricanait a cote de moi; je sentais son
souffle repoussant et humide effleurer mes levres et mes joues, qu'il
fletrissait, en passant, et parcourir tout mon corps comme un frisson
indicible. L'emotion que j'eprouvais est inexprimable. Je tremblais
d'une maniere effrayante. Enfin, a travers les arbres, j'apercus une
forme qui venait de mon cote. C'etait vous. Mais vous n'etiez pas seule.
Mon coeur bat encore de l'impression que j'ai ressentie en la voyant.
Aupres de vous, marchait un homme jeune dont les traits, ou respiraient
la tristesse et la distinction, m'etaient deja connus. Ne pouvant
parler, je tendis les bras vers vous. Sa tete se releva alors, et ses
yeux brillerent d'un eclat inoui. Tous deux, vous m'aviez compris et
vous veniez me chercher. Vous alliez arriver a la limite des arbres.
Alors le spectre fixa sur moi son regard vide et hebete: je ne vous
voyais plus. Puis il posa son doigt sur mon coeur, et de l'autre main il
me montra une eclaircie au milieu des cypres. Dans une allee dont je ne
voyais pas la fin, je vous apercus tous les deux; mais au lieu de venir,
vous vous eloigniez de moi, enlaces dans les bras l'un de l'autre.
Desesperee, je poussai un cri terrible. Ni vous ni lui ne vous etes
retournes. Le fantome ota son doigt de mon coeur et se mit a courir
autour de moi en tracant un cercle qu'il agrandissait a chaque tour. A
la place ou j'avais senti le contact mortel et glace de sa main osseuse,
j'avais une plaie par ou mon sang se perdait goutte a goutte et creusait
dans le sol un trou dans lequel j'enfoncais peu a peu, comme en un
tombeau. En ce moment, de larges flocons de neige commencerent a tomber.
Je trouvai la force de prononcer une parole, et le nom que je jetai a
l'air sans echos n'etait pas le votre, Cecile. Lui, ne se retourna pas
encore. Je tombai a genoux. Mes genoux s'attacherent a la terre.

Je ne pouvais plus me relever, ni crier. La neige qui tombait avec force
me cachait tout. Je n'apercevais plus ni vous, ni lui, ni le spectre.
J'etais seule, seule, entendez-vous bien? Je ne voyais que la blancheur
opaque des arbres couverts de neige. Et mon sang coulait sans cesse,
et ma tombe se creusait rapidement, et moi je descendais toujours, a
genoux, les mains jointes, folle de terreur et brisee par mon desespoir.

Je sentais le froid de la neige qui couvrait mes epaules et qui montait
autour de moi comme pour m'ensevelir avant meme que ma fosse fut
achevee. J'etouffais.

Quand je me reveillai en sursaut, c'etait le matin. Justine, qui m'avait
entendue me plaindre, etait aupres de mon lit.

Lorsqu'elle ouvrit mes persiennes, il neigeait. C'etait la premiere fois
de cette annee. Vous ne pouvez vous figurer l'impression que cela me
produisit.

Je suis encore tremblante en vous racontant cette douloureuse et
inexplicable crise. Et j'aurais mieux fait de ne vous en point parler.
Excusez-moi encore, mon amie, chere Cecile de mon ame.

Pardon de la tristesse que je vais vous causer encore. Mais j'ai besoin,
malgre moi, de parler de ce reve. Dites-moi qu'il est faux, dites-moi
qu'il ne signifie rien, je vous en conjure. J'ai beau me le repeter,
moi, il me poursuit sans cesse.

Vous le savez, je n'ai jamais aime. Je ne puis aimer, aujourd'hui. C'est
impossible, cela n'est pas. N'est-ce pas, ma Cecile adoree?

Et cependant, d'ou vient alors qu'en voyant approcher le moment de ma
mort, je regrette davantage l'existence, et que je voudrais pouvoir
me cramponner a la vie? Il me semble que je pourrais etre heureuse.
J'entrevois des joies qui ne m'etaient jamais apparues aussi douces et
aussi seduisantes.

Que veut dire tout cela? J'ai peur d'etre folle, par moments.
Ecrivez-moi encore, Cecile, je vous en supplie. Qu'il me soit donne
d'entendre encore une voix amie et aimee avant de quitter ce monde ou je
souffre, et que je pleure en le quittant.

Pensez a moi, aimez-moi, vous, ma Cecile que j'aime, et songez que je
n'ai que votre amitie au monde.

Votre MARIE.

Aveny, Novembre 1854.




Nous ne possedons que ces fragments,--nous n'osons dire d'un roman ou
d'un livre,--car l'auteur ne songeait probablement guere, en ecrivant
ces pages, a faire un livre ou un roman. Nous y verrions plus volontiers
une sorte d'autobiographie transposee, un cadre dans lequel il aurait
groupe ses propres impressions, fait raconter ses tristesses, ses
deceptions ou ses reves par des personnages de fantaisie.

Nulle part nous ne reconnaissons, nous ne retrouvons cet aimable et
cher enfant, ce doux et bien-aime poete, aussi completement que nous le
retrouvons dans cette derniere ebauche. Il y a bien trace la profonde
melancolie, les lassitudes, le besoin d'oublier, qui remplissaient son
ame.

Que les amis auxquels nous offrons ce volume nous pardonnent de n'en
avoir pas eloigne des pages qui leur paraitront peut-etre peu dignes
du talent de Prosper. Nous avons tenu a conserver tout ce qui pouvait
caracteriser cette nature si fine et si delicate.

En presence de la tombe qui a englouti tant de jeunesse et tant
d'esperances, il n'y a plus de place pour l'orgueil paternel.

L.J.




TABLE


A Prosper Jourdan


CONTES ET POESIES

A Madame George Sand

Rosine et Rosette

Leone

Premieres larmes

L'Automne

Ma Folie

A Marie

Rhodina

A l'hotellerie (souvenir de Musset)

La Rose

Rencontre

A madame L***

Adieu, Ninon

Dans la foret

Message

A ma mere

A ma mere

A mon ami Paul E.G.

A madame V***

A madame A*** (envoi de _Rosine et Rosette_)

A Felix M***

A mon pere

A madame L.B. (sur un exemplaire des _Emaux et Camees_)

Adieu

Le Reve

A ma mere malade

L'Oubli

Le Myosotis (a mon pere)

Colloque d'automne

Impressions de voyage

A ma mere

A mon pere

Envoi de _Rosine et Rosette_, A ***

Souvenir de Margency (a mon pere)

A mon frere

Effet de lune dans la Mitidja (a Theodore de Banville)

Mandoline

Boutade

Declaration d'ecolier (a Constant Coquelin)

Chanson d'Ourida

Kief

A madame George Sand


NOTES AU CRAYON

Note

En marge d'un cahier

Opinions sur tels et tels

Caprices du langage

Ce que disent les diseurs de riens

Misanthropie


QUELQUES PAGES D'UN LIVRE

Marie a Cecile

Cecile a Marie

Marie a Cecile

Note









End of the Project Gutenberg EBook of Contes et poesies de Prosper Jourdan:
1854-1866, by Prosper Jourdan

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PROSPER JOURDAN ***

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Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
https://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
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